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... un Témoignage du Passant Bleu :

La dernière patrouille de l'Algérie française...

par Philippe GROULT

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Un récit autobiographique de Philippe GROULT.

Chapitre III suite: PÉRIODE ALGÉRIE! Après le cessez-le-feu.

Préparation du CIA, ainsi l’Armée se rappelle que je suis apte à passer cet examen.

Ayant échoué au CIA à St Maixent, mon chef de corps me demande, ou m’ordonne plutôt, de le repasser. Pour ce faire, je vais préparer l’examen en plusieurs stages très intéressants.
Premier séjour à DELLYS, charmante petite ville du bord de mer en Kabylie où l’on nous oblige à reprendre l’EPM. Stage très sympa avec chaque matin un parcours de cross au bord de la mer. On passe par la colline qui surplombe le village et sur laquelle est implanté le cimetière musulman de la ville. Magnifique semaine au grand air, en avril 1962.
Le second, on va le faire à Sidi Feruch dans une compagnie du 3éme RPIMA (je crois que c’était l’ancien régiment de BIGEARD, du temps où il s’appelait le 3ème BPC). On va en baver avec un décrassage chaque matin de plusieurs kilomètres puis exercice de combat après le petit déjeuner. Cours divers dans les bois des alentours et sur la plage. Parcours du combattant de derrière les fagots (chez les paras !). Le soir, on s’écroule sur le lit Picot et c’est la ronflette jusqu’au matin ou l’on remet ça, et ceci pendant deux semaines environ. Ça ne rigolait pas chez les bérets rouges, mais quelle formation.
Rebelote en juin 62 pour les parties tir, radio et autres matières.
Nous sommes prêts pour l’examen qui se déroule à FORT DE L’EAU fin juin de la même année.
Épreuves de tir. Mes notes sont exceptionnelles : Fusil en position du tireur couché = zéro. Tir de grenade = zéro. Tir au pistolet (le PA MAC50) = zéro. L’examinateur me demande pourquoi des notes aussi mauvaises. Moi, con comme un balai, je lui réponds que dans notre unité nous avons des colts 45 (ce qui était complètement faux), on m’apporte un Colt. Je n’avais jamais tiré avec cette arme ! Résultat = zéro. Je sens l’agacement de l’officier responsable du pas de tir.
Tir à la MAT 49 : 25 cartouches, pas une seule dans la cible !
Enfin tir au FM 24/29 : 20 sur 20. Là, j’ai cru que le responsable du pas de tir allait manger son calot !
Heureusement, avec une note de cote d’amour très généreuse, et une chance incroyable pour la partie « combat » (l’examinateur, le Capitaine de la Légion qui était venu nous secourir lorsque notre camp avait été attaqué début mars et avec qui, j’avais sympathisé au mess !), je passe haut la main les épreuves au coefficient important.
- Donnez les ordres pour un départ de votre groupe en ratissage.
5 minutes plus tard, j’ai 18/20 !
Avec ces deux notes, j’avais le CIA en poche et je me suis même retrouvé dans les premiers de la promotion (moyenne 13,83/20 ; j’ai encore la copie du diplôme dans mes archives). Comme je n’avais pas bien confiance en moi, lorsque les résultats ont été affichés, je me suis mis à reg arder les derniers noms de la liste, ceux qui n’étaient pas reçus.
Bizarre, je ne figure pas dans les recalés.
Je remonte dans le tableau (il y a à peu près 200 noms de reçus).
Je ne figure pas dans les derniers reçus. Comme c’est bizarre !
Je ne suis pas dans les 100 suivants, toujours pas mon nom. Ce n’est pas possible, ils m’ont oublié.
J’arrive aux 50 premiers, toujours rien.
En désespoir de cause, je jette un coup d’œil aux 20 premiers. C’ est fou, mon nom est là dans les tout premiers.
Comment est-ce possible ?
En fait lorsque j’aurai connaissance de mes résultats (l’Adjudant de compagnie me les a communiqués) ; j’ai une cote d’amour de 18/20 coefficient 10, une note de combat (par le Capitaine de la légion), de 18 sur 20 avec coefficient 10 aussi. Avec ça, c’est dans la poche, je n’en reviens pas. Quel pot ! Le Capitaine me félicite (tu parles, sans ta note de cote d’amour, je ne l’aurai sans doute pas eu aussi confortablement ton CIA). J’ai noté à cette occasion que la moyenne des notes était très basse, la plupart des stagiaires, envoyés par la contrainte n’avaient pas beaucoup travaillé. Il y a eu sûrement beaucoup de rattrapage.

Maintien de l’ordre à ALGER.

Notre bataillon est affecté à ALGER aussitôt après le cessez -le-feu du 19 mars 1962, pour faire du maintien de l’ordre en attendant l’Indépendance.
Dès l’arrivée, nous sommes cantonnés dans une installation de l’Armée de l’Air à HYDRA, la base aérienne Arnaud de Vitro lles. Alors là, c’est le bonheur (relatif, quand même !). C’est magnifique. On ne connaît pas ça dans l’armée de terre.
Le réfectoire, c’est un self-service dans lequel tout le monde, Officiers compris, mange dans la même pièce, immense, d’une propreté ini maginable pour nous qui arrivons du djebel. Nous sommes servis comme des rois, chacun avec son plateau nous passons devant les cuisiniers qui nous demandent notre choix, et si on n’en a assez… On repasse au rab ! Et que dire de la nourriture ! Un régal.

Par contre, au bout de quelque temps, notre compagnie est obligée de déménager, et voici pourquoi.
Un des bâtiments servant pour les chambrées s’avère être envahi par les poux. Dans un premier temps, les habitants mettent les pieds des lits dans des boîtes r emplies de pétrole. Ça pue, mais les poux nous fichent la paix…
Pas pour longtemps, ces sales bêtes grimpent au plafond et se laissent tomber sur le couchage. Et la nuit, tout le monde se gratte et tente de se débarrasser de ces insectes maudits.
Peine perdue.
Les autorités compétentes décident de déclarer une guerre d’extermination totale. On va procéder de la façon suivante : on évacue complètement le bâtiment qui fait plusieurs étages (d’où l’obligation pour les ressortissants de l’Armée de Terre de décamper (c’est le cas de le dire !). On sort la literie qui est détruite par le feu dans un endroit isolé. On calfeutre totalement le bâtiment en obturant portes et fenêtres à l’aide de bâches en plastique.
Lorsque ces opérations sont terminées, des équipes munies de puissants insecticides contenus dans des pulvérisateurs parcourent toutes les pièces ainsi que les moindres recoins des étages en propulsant le liquide à tout va.
On va laisser agir le produit pendant plusieurs semaines puis les chambrées seront rééquipées et réaffectées, mais nous, nous ne serons plus là. En effet, entre-temps nous allons être cantonnés sur le stade BIALÈS, le stade de basket-ball de la rue de LYON. On nous a dressé des tentes qui servent de dortoirs et de cantine. Puis, après quelque temps, comme les habitants européens commencent leur exode, nous nous installons dans une villa, c’est mieux, surtout pour l’encadrement qui retrouve un semblant de confort.

Ça ce sont les conditions de cantonnement. Par contre, à tour de rôle, nous allons faire du maintien de l’ordre dans les rues de la capitale algéroise.
Ce qui frappe, lorsque l’on patrouille en jeep et que l’on s’arrête sur les hauteurs (Hydra, le palais d’été, etc.…), c’est le silence entrecoupé de coups de feu, d’explosions diverses. La journée, ça va à peu près, mais dès que la nuit tombe, c’est le déchaînement des fous furieux qui cherchent à s’éliminer. Pas un moment de répit, sauf vers le matin, lorsque les tireurs commencent à fatiguer. Beaucoup plus impressionnant que dans le djebel !
Ainsi nous allons être affectés dans plusieurs secteurs de la capitale (Belcourt, Bab El Oued, les quartiers populaires Pied Noir, la rue Michelet, devenue rue Didouch Mourad, après l’indépendance. Le littoral vers l’ouest, le dancing fermé depuis longtemps pour cause de « schrouga » (bombe), du casino de la corniche, chez Padovani. Le Fort aux Anglais à la pointe Pescade, et vers l’est le stade Bialès, la cité radieuse de Pouillon (Dar el Maçoul - la maison du bonheur ! tu parles de bonheur !) et le jardin d’essai, avec son zoo sur la route de l’aéroport et d’Hussein Dey.
Moi, le quartier que je préfère, c’est le centre-ville, avec la rue Michelet, la rue d’Isly, le tunnel des facultés, car dans ces zones, on croise souvent de charmantes jeunes femmes qui sont pour certaines assez sensibles à l’uniforme !

26 mars 1962, le massacre de la rue d’Isly et de la grande poste.

Affecté ce jour -là à un barrage boulevard LAFERRIÈRE devant l’immeuble Maurétania (siège d’Air France, entre autres sociétés), je ne vais apprendre ce qui s’est passé à 200 mètres à vol d’oiseau, rue d’Isly, que presque un mois plus tard en lisant un exemplaire de Paris Match qui relatait ce grave débordement (61 morts, 200 blessés) suite à une manifestation de Pieds Noirs, et au déclenchement du feu par une section composée par des militaires musulmans commandés par un jeune Sous-Lieutenant paniqué; on le serait à moins !). Stationnés avec ma section, nous avons bien entendu des coups de feu, mais à ALGER, à ce moment, les tirs d’armes individuelles, personne n’y portait vraiment attention. Nous avons bien entendu aussi à la radio (TRPP8), des messages alarmants, mais là aussi nous n’y avons pas été sensibles puisque notre unité n’était pas concernée. À la fin de la soirée, retour au campement en camion, nous avions totalement oublié l’incident.

Le ravin de « La Femme sauvage ». C’est son nom, il n’est pas usurpé!

C’est une route encaissée entre deux collines, située au sud d’Alger qui relie EL BIAR à BIRMANDREÏS.
Nous prenons la relève d’une compagnie qui avait été accrochée (bien que le cessez -le-feu soit en vigueur !) par des éléments incontrôlés de l’ALN et qui avait eu un mort et plusieurs blessés. Nous sommes en casernement dans une villa dont les propriétaires, juifs Pieds Noirs, qui, sentant le vent tourner, sont partis en métropole, laissant leur fils pour garder l’immense propriété en attendant leur déménagement définitif en France. Le dernier occupant, un jeune de notre âge, très sympa est devenu mon copain, et nous avons fait quelques coups ensemble, il avait quelques copines très mignonnes !
Le soir, à la fraîche, dans une petite cabane un peu éloignée de la villa, nous sommes bien entourés, avec des jeunes étudiantes pas farouches du tout !!!! Et on danse une bonne partie de la nuit, le couvre-feu interdisant toute sortie pour les civils.
Dans ce campement, un ancien légionnaire effectue des travaux de jardinage et de gardiennage. Comme c’est un artiste, il me reproduit en bois et en relief l’insigne de notr e régiment sur un panneau de 50 cm sur 34 cm. Cet écusson, je l’ai ramené en France, et je le possède toujours. Le voici, il trône dans ma chambre !

Photo de l'écusson du 2°R.I.

Voyant ça, le Capitaine De P., le Commandant de Compagnie, ancien légionnaire, lui commande l’écusson de la 13e DBLE. D’autres évènements ont marqué notre travail pendant cette période.

Mai 62 Belcourt, carrefour de la rue de LYON et de la rue Lamartine.

Ce carrefour représente la frontière entre les quartiers musulmans et Pieds Noirs de Belcourt. Chaque jour (je fais fonction de Chef de Section avec 2 sergents appelés pour m’aider), nous nous positionnons au croisement pour le cas ou les habitants voudraient en découdre.
Je mets à chaque fois, la section en protection et pendant 2 heures environ , nous contrôlons les (rares) véhicules qui traversent le carrefour. Les ordres sont précis, à 16h05 (chaque jour, l’heure change) nous décrochons pour une patrouille à pied dans le quartier avant de rentrer au camp à 17h00.
À l’heure convenue, je donne mes ordres, la section pas fâchée de bouger s’ébranle en direction du centre d’ALGER.
Nous n’avons pas effectué plus de 100 mètres que plusieurs obus de mortier tombent sur le carrefour.
Un ou deux blessés légers seulement parmi la population, mais nous, nous sommes tous à terre en attendant que le tir s’arrête.
Je préviens le PC par radio. On me donne l’ordre de retourner sur mes pas et de reprendre le contrôle du point stratégique. Sitôt fait (mais pas très à l’aise quand même !) j’attends les ordres.
À partir de ce moment va débouler une partie de l’état major de la 10 ème région militaire. Je n’avais jamais vu autant de galons et d’étoiles en même temps et en un seul endroit.
Je dois raconter mon histoire une bonne vingtaine de fois, puis après deux bonnes heures de parlote, tout le monde s’en retourne et je reste avec la section et le Sous -Lieutenant qui fait fonction de Commandant de Compagnie, et qui m’ordonne de rentrer au campement.
L’explication que l’on a eue par la suite ; c’est l’OAS qui avait décidé de faire des dégâts, mais qui a attendu que ma section soit partie avant d’envoyer ses obus.
Du coup, les commerçants du coin les jours suivants me reconnaissent lorsque je me promène, me félicitent (de quoi !!!) et les patrons de bars m’offrent l’Anisette traditionnelle, que je bois pour leur faire plaisir (j’ai toujours eu horreur des boissons anisées !).
Avant de quitter définitivement sa ville natale, le patron d’une petite entreprise de métallurgie me donne 2 « Quatre chevaux Renault » avec lesquelles nous nous amusons les jours suivants avant de les abandonner dans le garage de leur ancien propriétaire, car j’ai les clés de l’entrepôt, de la maison d’habitation et de toutes les dépendances.

« TU PARLES TROP »

Chaque soir, au moment du journal télévisé, l’OAS émet une bande-son sur la fréquence de la télévision, couvrant les paroles du présentateur. L’émission pirate commence toujours par la chanson des « Chaussettes Noires-Eddy Mitchell » : tu parles trop, du soir au matin, les mêmes mots, les mêmes refrains, bla-bla-bla, c’est ton défaut, etc.…
Puis un speaker donne des informations (OAS bien sûr) pendant quelques minutes.
Comme la Police traque l’émetteur, il n’est pas rare que l’émission pirate s’arrête en cours de diffusion, ce qui signifie que l’émetteur a été découvert.
Toute la compagnie attend l’émission pirate chaque soir, dans la petite cour ou le poste de télévision est installé.
C’était un bon moment pour les gars privés de spectacle.

Comme ALGER est en pleine ébullition (ALN d’un côté, OAS de l’autre), je suis, de temps en temps, réquisitionné pour effectuer des patrouilles de maintien de l’ordre dans BAB EL OUED (Rampe Vallée pour ceux qui se rappellent) et je fais la relève de la garde du bâtiment qui héberge les familles d es Cadres de l’Armée.
Nous ne sommes pas fiers, car des coups de feu partent de temps en temps des fenêtres sur les patrouilles, il faut avoir les yeux sur 360° afin d’éviter aussi les ordures qui pleuvent, enfin tout un tas de choses sympathiques qui nous arrivent dessus sans crier gare. Et puis, il y a les concerts de casseroles ! : « TI, TI, TI ; TA, TA « : (Al-gé-rie-fran-çaise)

Chaque matin, nous devons « ouvrir la route » comme dans le djebel. C’est-à-dire que dès le lever du soleil, une patrouille avec un sous-off et quelques soldats montent dans un 4 X 4 Renault et remontent la rue de Lyon jusqu’au centre-ville. Pratiquement chaque matin, des cadavres gisent dans les rues. Nous devons signaler le fait à notre PC qui prévient l’hôpital Maillot pour envoyer un corbillard qui ramasse les corps. Il s’agit soit de musulmans tués par l’OAS, soit des civils de cette organisation descendus par le FLN (règlements de compte).
Dans la journée, nous effectuons des patrouilles à pied. Chaque patrouille a avec elle un gendarme mobile ou un CRS qui doit rester au milieu des soldats, s’il ne veut pas être touché par une balle (l’OAS avait mis un « contrat » sur les forces de Police).

Après la rue de Lyon, notre compagnie est positionnée à Bab El Oued. Là aussi, il faut protéger les différentes populations, qui ont une fâcheuse tendance à se tirer dessus.
Les femmes européennes n’étaient pas les dernières à faire le coup de feu.
Suivant les unités placées sur le maintien de l’ordre, certaines sont classées soit plutôt pro-Algérie algérienne, soit plutôt Algérie française. Nous, compte tenu de la tendance de certains de nos Officiers, nous sommes classés Algérie française, ce qui nous vaut, lorsque nos unités sont identifiées, la bienveillance des « pieds-noirs ». Par contre, il ne fait pas bon, se promener dans les quartiers musulmans. C’est une vaste partie de colin-maillard avec de vrais risques à la clé.
Quelques fois, nous recevons l’interdiction de passer à un certain endroit à une certaine heure …
Le lendemain nous apprenons qu’un magasin a sauté à l’endroit précis que l’on nous a interdit de côtoyer…
Une coïncidence, sans doute !!!

La compagnie fait aussi des remplacements chez « PADOVANI », le casino de la corniche, un bal dans lequel une bombe avait été jetée quelques années auparavant, faisant plusieurs morts et beaucoup de blessés parmi la clientèle européenne.
Depuis lors, nous avons un casernement de l’autre côté de la rue et nos hommes montent la garde dans le bâtiment du bal, bien que ce dernier soit complètement désaffecté.
Ma compagnie est restée à cet endroit plusieurs semaines. Il est situé entre Bab-el-oued et le bas de la Kasba, le long du front de mer, en direction de la Pointe Pescade et du stade Marcel Cerdan.
C’est un lieu déprimant. Le bord de mer est formé de rochers agressifs qui empêchent toute baignade.
C’est à cette époque que j’ai rencontré la fille d’un collègue de mon père avec qui je suis sorti pendant plusieurs semaines.
Plage, surprises parties avec les copains de la belle Michèle. Deux de nos amis travaillent à Radio Alger, ils présentent une émission appelée « JUKE BOX » l’après-midi, et plusieurs fois ils ont passé des disques que je leur commandent et les dédicacent à mes gars de la Compagnie (qui bien sûr sont très fiers d’être cités dans le poste).
Puis cette amie est devenu Hôtesse de l’air chez Air Algérie et moi je suis parti à Cherchell, nous ne nous sommes plus jamais revus. Dommage !

Les derniers jours de l’Algérie française, une période bien triste et révoltante.

En garnison dans le lycée (de jeunes filles) Fromentin qui avait la particularité d’avoir conservé ses peintures de guerre (camouflées) depuis la Deuxième Guerre mondiale (c’était le PC du Général de Gaulle en 1944), nous patrouillons dans le quartier jusqu’au 2 juillet 1962. À minuit, une patrouille de l’ALN vient nous signifier que notre travail est terminé et que nous « pouvons » rentrer dans nos quartiers.
C’est la tête basse et les larmes aux yeux que nous allons déposer nos armes chez le fourrier, raccompagnés à distance par les soldats algériens, le sourire aux lèvres !

Mais le travail n’était pas complètement terminé. D’une part, une fraction d’activistes de l’OAS continue la lutte contre les autorités françaises et aussi algériennes, d’autre part, il faut assurer la sécurité des « Pieds Noirs » qui quittent en hâte le territoire algérien. À tour de rôle, nous faisions du maintien de l’ordre soit sur l’aéroport de Maison -Blanche (devenu maintenant Dar El Beïda - soit la traduction littérale du nom français), soit au port de commerce.
Quels déchirements de voir ces braves gens n’ayant pour tout bagages que 2 valises par personne adulte, les enfants n’ayant pu conserver qu’un jouet, obligés de tout quitter, les larmes aux yeux, aidant comme ils le pouvaient les personnes âgées effondrées par le chagrin et handicapées par leur condition physique sérieusement dégradée pour certains.
Il faut accueillir les familles, leur distribuer des numéros d’ordre pour l’embarquement, puis leur permettre de s’allonger dans l’aérogare ou les bâtiments du port en leur prêtant des couvertures et pour les plus chanceux des lits Picot, puis les nourrir et les rafraîchir (été 62, la canicule).
La route de l’aéroport est jalonnée de voitures abandonnées qui bientôt seront récupérées par les Algériens.
Je me rappelle d’une dame qui au moment où le bateau a commencé sa manœuvre de départ, a jeté les clés de sa maison dans le bassin du port, en ayant certainement comme pensée : « maintenant, ce n’est plus la peine de les conserver, nous ne reviendrons plus jamais ». Pathétique !

JUILLET 1962, maintenant il va falloir liquider l’Algérie française.

Photo de l'écusson du 2°R.I.

Je suis désigné pour garder le mess des Officiers d’Alger square BRESSON, en attendant de le remettre aux autorités algériennes.
Nous n’avons rien à faire, alors on fait des photos pour passer le temps.
Pour la postérité, on prend des photos en situation ! Quelle connerie !
Un jour, c’est le cas de le dire, nous organisons un marathon de belote. Ainsi nous allons jouer pendant 24 heures sans dormir, ravitaillés par ceux qui nous entourent, en prenant quelques minutes de pose chaque heure. C’est fatigant de ne rien faire !
Un matin, des camions viennent nous récupérer, le mess est remis aux Algériens sans notre présence. Il est intact contrairement à certains établissements qui vont être détériorés par des bandes non contrôlées.

L’indépendance obtenue, les Algériens sont devenus sympas avec l’armée française (enfin très relativement et pas partout !), on peut se promener seuls dans la Kasba ou Bab El Oued quartier devenu algérien à presque 100%, sans risquer un mauvais coup (nos autorités avaient obtenu du gouvernement algérien, le port d’une arme individuelle – PA MAC 50 apparent, chargeur non engagé et enfermé dans son étui !!)

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Avec ma demi-section, je suis chargé de garder le « Fort aux Anglais » à la pointe Pescade.
C’est une bâtisse fortifiée entourée de murs épais qui donne directement sur la mer.
Au bout de quelques jours, le Commandant de Compagnie m’informe que nous allons remettre les lieux à l’ALN. Descente des couleurs, montée du drapeau algérien. On se salue à peine, le Capitaine nous fait faire demi-tour et nous quittons ce lieu qui a vu le débarquement américain de novembre 42. Tristesse infinie.

Puis le régiment est dissous et rapatrié en France. Comme je n’ai pas le temps de présence en AFN nécessaire pour quitter l’Algérie, je vais être muté au 137ème RI (le Régiment de la tranchée des baïonnettes).137 ème Régiment d’Infanterie (transformé en 137 eme Bataillon par la suite). ALGER, caserne Pélissier à BAB EL OUED, en face du Lycée BUJEAUD.
C’est le Chef de Bataillon P. (sans rapport avec le nom de la caserne) qui m’affecte comme responsable du Mess des Officiers, de celui des Sous-Officiers et du foyer central. Gros boulot, mais comme il y a pénurie de cadres : « démerdez-vous ! » qu’il a dit le Chef.
Je me suis si bien démerdé que lorsque j’ai été muté à Cherchell (pour rendre l’école des EOR à l’ALN), j‘ai continué dans le même emploi jusqu’au départ du Bataillon vers Sissonne, le 27 avril 1963.
Dans cet emploi, J’ai découvert comment les entreprises civiles arnaquaient les soldats (sur le prix des canettes de bière et des objets vendus dans les locaux militaires). Les représentants augmentaien t le prix, la somme ainsi récoltée (avec l’aval des patrons des entreprises), étaient partagés entre le commercial civil et le gérant du foyer. Ceci jusqu’à mon arrivée, car n’ayant jamais voulu me faire de l’argent sur le dos des gars du bataillon, j’ai refusé de marcher dans leurs combines. Donc, j’ai été mis à l’index jusqu’à ce que je trouve des entreprises qui faisaient correctement leur travail (il y en avait heureusement !) Et j’ai viré les margoulins.
Certains ont bien essayé de me faire virer par la hiérarchie, mais comme j’avais pris la précaution d’avertir mon responsable direct, un Lieutenant chargé de tout ce qui était approvisionnement, je n’ai pas eu de soucis. Les braves gars du bataillon ont été étonnés le jour où ils se sont aperçus que le prix des denrées au foyer avait diminué comme par enchantement de quelques centimes de francs.

CHERCHELL, ma dernière affectation en Algérie, une école magnifique même pas terminée .

Décision du Bataillon, c’est nous qui allons remettre l’école des EOR (toute neuve, le cinéma/amphithéâtre n’était pas encore terminé) à l’armée algérienne.
En attendant, la dernière promotion termine ses études.
Comme je n’ai pas grand-chose à faire le matin, je me mets à ma fenêtre pour fumer tranquillement ma cigarette en regardant les EOR en train de faire les corvées.
C’est là que j’ai remarqué plusieurs jours de suite, le parfais fumiste en pleine bourre.
Ce gars a une bonne technique pour ne pas en faire une ramée.
Il a un balai et doit nettoyer le caniveau juste en dessous de ma chambre.
Il procède ainsi.
Avec son balai, il donne trois coups, toujours très lentement, puis il regarde à droite et à gauche. Personne à l’horizon ? Il renvoie la saleté dans le sens contraire puis il redonne 3 coups de balai, et ainsi de suite pendant tout le temps de la corvée.
Pendant ce temps, ses copains s’acharnent sur leurs corvées avant le passage de l’inspection.
Plus tard, j’ai retrouvé la scène dans une bande dessinée d’Astérix, dans laquelle, on voit un légionnaire qui balaie une demi-dalle d’une cour de caserne, puis, s’arrête avant de balayer l’autre demi-dalle et ainsi de suite. Tout à fait l’œuvre de mon compère EOR !
La plaisanterie dure pendant que ses copains s’échinent à rendre les abords le plus propres possible.
À la fin il évacue la pelletée de poussière dans l’avaloir et sûrement retourne directement dans sa chambrée.
Je trouve le gars tellement fumiste que je le regarde tous les matins. Bien entendu sans le dénoncer, jusqu’au jour ou levant la tête, il m’a vu plié en deux de rire, il n’a jamais recommencé, du moins jamais sous mes yeux !

Au mess, je retrouve un gars que j’avais connu à Casablanca. Il habite dans mon quartier, on se voyait assez souvent. Roger A., encore un fumiste de bon calibre. Il est serveur au mess, sous mes ordres. Nous passons de bonnes soirées à se remémorer nos bêtises de gamin et nous allons tous les 15 jours à ALGER en jeep pour changer les bobines des films que l’armée nous prête, pour distraire la compagnie.
Là aussi, ce n’est pas triste, la balade est sympa et nous rendons visite à nos connaissances avant de repartir vers CHERCHELL.

Un autre moment moins drôle, celui-là.
Nous avons eu plusieurs accidents de la route, les chauffeurs roulant à tombeau ouvert sur les pistes en mauvais état. Un ou deux morts chaque semaine. Comme je m’étais acheté une tenue en tergal(tenue été), mon chef de corps avait décidé que c’était moi qui serais à chaque fois de corvée d’obsèques. J’étais ravi !!!
Un matin, un groupe de Pieds -Noirs viennent rencontrer nos Autorités. Un charnier vient d’être découvert, à la sortie de Cherchell, en direction d’Oran. Des spécialistes de la SM (Sécurité Militaire), des membres de l’Ambassade de France, et quelques Officiers du bataillon se rendent sur place pour rencontrer les autorités algériennes. Celles-ci sont un peu gênées, mais franchement s’en foutent pas mal, d’autant qu’il s’agit, au vu des papiers d’identité que les cadavres ont encore sur eux, de ressortissants français. Au fur et à mesure que le temps passe, on va apprendre qu’il s’agit de membres de l’OAS qui ont été pris par l’ALN après une bataille acharnée. Ils ont été embarqués dans des camions, les mains liées par-derrière avec du fil de fer et assassinés dans l’arrière -pays.
Il ne sera pas fait état de cette affaire dans les journaux, on met l’éteignoir pour ne pas embarrasser les Algériens.

Le soir, après le travail, nous bavardons sur le pas de la porte du Mess. Nous avons parmi nous, un séminariste qui fait son service militaire comme Sergent. Nous avons lié connaissance avec un ancien EOR, Sous-Lieutenant, sympa, et pas trop impliqué par la situation de notre Armée. Un autre appelé, un sous off aussi, lui, c’est un « bouffeur de curé, un virulent, plus con que méchant. Un soir, après avoir ingurgité quelques “Gauloises”, il se met à divaguer. Il déclare qu’il peut prouver que Dieu n’existe pas ! Et il part dans une démonstration aussi fumeuse que débile, et même le séminariste ne peut s’empêcher de rire aux éclats.
À partir de ce jour, on va l’appeler Jésus !

C’est là que j’ai ressenti mon premier tremblement de terre.
Un après-midi à l’heure de la sieste, ma chambre étant au 4e étage d’un immeuble HLM construit pour les cadres de l’armée, je sens mon lit bouger.
En face de moi, un lavabo, dont toutes les conduites d’eau, sont en plomb (immeuble tout neuf), je vois comme dans une séquence de film au ralenti le lavabo se desceller et tomber tout doucementjusqu’au sol.
Avant qu’il soit à terre, je suis déjà descendu d’un demi-étage.
Puis la secousse se calme et tous les copains ameutés, vont défiler dans ma chambre pour voir le lavabo fugueur.
À cette occasion, j’ai eu un franc succès !

À la suite du putsch des Généraux, on nous avait retiré nos tenues camouflées, sûrement pour nous vexer en nous obligeant à enfiler les treillis kaki distribués généreusement aux troupes d’infanterie.
Comme la tenue kaki ne me plaît pas, j’ai acheté (au marché noir !) une tenue parachutiste que j’avais bien entendu fait retailler.
C’était idiot, vu l’emploi que j’avais à ce moment (Fourier, responsable du mess), mais ça me plaisait bien de me distinguer du reste du détachement chargé de la liquidation de l’école.
Bien sûr, on se fout de ma poire, et quelques fois, un officier me fait bien la remarque pour port d’un uniforme non réglementaire, mais comme par ailleurs, avec ma tenue en tergal, je me coltine tous les enterrements, on me laisse tranquille ! C’est donnant donnant !

Comme le sergent fourrier en titre est quillard, on m’affecte donc le matériel à gérer. Du camion aux armes en passant par l’habillement, les gamelles de l’intendance, je suis à la tète d’un matériel considérable.
Avant le cessez -le-feu, à plusieurs reprises, les unités de “forces locales” composées d’Algériens ont déserté en emportant une partie du matériel et des armes. L’encadrement européen était revenu au PC du bataillon avec ce qu’il leur restait (entre autre, bien sûr, les armes détenues par l’encadrement jusqu’aux mitrailleuses de 30 mm montées sur véhicules.
À leur retour, pour ne pas s’embêter, mes prédécesseurs avaient établi des PV de perte globaux.
Ainsi nous avions un stock de matériel et d’armes incroyable et surtout sorti des inventaires puisqu’ils avaient fait l’objet de PV de perte ! À l’occasion d’un contrôle de l’Intendance, nous devons envoyer tourner autour de CHERCHELL plus d’une dizaine de GMC et de camions SIMCA, car n’étant plus sur les effectifs, nous aurions eu beaucoup de problèmes pour expliquer comment nous avions encore du matériel normalement disparu. Ces camions étaient bien entendu bourrés de matériel et surtout d’armes individuelles !
En partant, les ordres étaient nets, rien ne devait être laissé sur place. Ainsi nous avons fait un immense feu de la Saint Jean (au moins une dizaine de mètres) de tables, de chaises, de linge (treillis neufs, chaussures, chaussettes, etc.… ) et nous avons mis le feu. Quel gâchis ! Par contre, ordre nous avait été donné de jeter à la mer les casseroles, les bidons les assiettes, les couverts, tout ce qui servait pour les repas.
Lorsque nous sommes arrivés sur les rochers qui bordent la méditerranée, nous avons été entourés par une foule de petits gamins en guenilles. Nous leur avons laissé tout ce qui n’était pas militaire. Je les revois encore repartir avec nos immenses gamelles, portées par plusieurs petits rigolos qui ne nous ont même pas remerciés, mais ça, on s’en fichait bien.

Les distractions à CHERCHELL.

Il existe une maison close fréquentée uniquement par les militaires. Contrairement au BMC que j’avais visité à AUMALE, celui-ci était bien tenu, avec des pensionnaires impeccables. Il faut dire que l’armée faisait souvent des inspections obligeant les tenanciers à une certaine rigueur.
Je me rappelle les crises de rigolade lorsqu’avant d’aller au BMC, nous avalons des comprimés d’un médicament qui rend notre urine violette tant que nous n’avons pas attrapé de maladie (je ne sais pas ce que c’était, comme molécule), mais pendant plusieurs jours, nous pissons violet, ce qui nous fait bien rire et les WC de notre bâtiment portent pour longtemps les traces de notre passage. À ma connaissance jamais personne n’a eu de problème dans cet établissement.
J’ai beaucoup de succès avec mon treillis camouflé. Les pensionnaires pensent que je fais partie des troupes de choc. Je ne les détrompe pas, trop content de me pavaner, fier “comme bar -tabac”.
Les filles pour la plupart sont espagnoles ou portugaises. Certains soirs, nous avons le droit à du Flamenco, ces dames ont revêtu des robes longues évasées dans le bas typique de cette sorte de danse. Certaines danseuses sont particulièrement douées pour cet exercice, et nous apprécions ce spectacle à chacun de nos passages.
Puis un jour, le gouvernement algérien fit fermer l’établissement quelque temps avant notre retour en métropole. La vie devint bien triste dans ce coin perdu de l’Algérie indépendante.

Remise de l’école aux autorités algériennes

Fin avril 1963, l’école magnifique avec sa place d’Armes gigantesque est remise à l’ALN au cours d’une cérémonie dont j’ai complètement oublié les détails. En tant que responsable du mess, j’ai remis les locaux (vides) à un gradé algérien qui n’en avait rien à faire, il semblait plus pressé de nous voir déguerpir pour occuper les lieux dès notre départ.

On quitte l’Algérie en douce, comme des voleurs ou des criminels.
Embarquement dans les bahuts, direction Alger, casernement dans des bâtiments encore sous la responsabilité de l’Armée française dans l’attente de l’embarquement.
Quelques S/Off comme moi, avons été embarqués presque clandestinement (mais je ne suis pas dupe,l’ALN savait bien sûr, ce qu’il y avait dans les GMC bâchés) qui roulaient de nuit pour aller tous feux éteints sur le quai au pied de la passerelle du bateau qui nous ramène, l’ensemble du bataillon jusqu’à Marseille le 28 avril 1963. C’est une mascarade, mais par précaution, il y a eu des drames peu de temps auparavant à l’embarquement de militaires qui comme moi avaient appartenu à un Commando de Chasse, et qui, soi-disant, avaient été condamnés à mort par l’ALN. Bref, par précaution, je n’ai jamais remis les pieds dans ce pays.

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