Touareg Ajjer
par le Lieutenant Guy BROSSOLLET(1960 )

Le document publié sur cette page a été rédigé par un chef de peloton méhariste de la compagnie des Ajjers vers 1960, et laissé à son sous-officier adjoint au moment où celui-ci lui succédait à la tête du peloton. Il m'a été confié par Mr Guy Niel, qui servit sous les ordres de ce dernier, de novembre 1961 à juillet 1962, comme jeune sergent° chef de groupe.
( ° Dans ces troupes montées, ils sont fréquemment appelés "maréchal des logis" par effet de mimétisme.

  La mise en page et la création des liens h ypertexte sont de limafoxromeo, la majorité renvoient au glossaire)

ADDITIF -CORRECTIF du 22 Février 2007: La personne (Mr R.R.) qui en 1960 a reçu le manuscrit des mains du rédacteur a pris contact avec limafoxromeo.et apporte les précisions suivantes :

Le peloton de référence de la Compagnie Méhariste des Ajjer avec son PC à Djanet était, jusqu'à fin 61, commandée par le Capitaine PUYMOYEN..
Etait également basée à Djanet le 5ème Compagnie Saharienne d'Infanterie qui elle, était commandée par le Capitane ANGE (un ancien officier du 2ème REP).
Le document très intéressant reproduit sur votre site a été rédigé par le Lieutenant BROSSOLET (ou BROSSELET).
" J'ai eu le manuscrit entre les main pour le taper en Décembre 1960, j'étais alors attaché au secrétariat du Commandant de Compagnie.
Le Sergent réceptionnaire est le sergent MOSNA (et non MOSSA). Ce dernier a pris le commandement du peloton quand le Lieutenant a été muté à Saïgon début 61.
La Compagnie Méhariste des Ajjer était constituée, outre le PC de 3 pelotons méharistes (pelotons montés) et de 3 pelotons motorisés (pelotons portés).
En août 61, la CMA et la 5ème CSI ont fusionné pour former le Groupe Saharien Mixte des Ajjer (l'insigne Drago est resté le même que celui de la CMA sauf au verso où le nom de la compagnie a été changé). Le Capitaine PUYMOYEN en a encore assuré quelques mois le commandement puis a été nommé Commandant et muté[...] "

Si Messieurs BROSSOLET (ou BROSSOLET ) et MOSNA (Orthographes approximatives) lisent ces lignes, qu'ils n' hésitent pas à contacter limafoxromeo par courriel (cf page accueil).

ADDITIF -CORRECTIF du 24 mars 2011, l'auteur de ce document vient de contacter limafox par courriel ;en voici un extrait..
"J'ai pris connaissance de votre site grâce à Mr R. qui était secrétaire à la compagnie méhariste des Ajjer et qui a tapé le rapport que vous reproduisez sur les moeurs et coutumes des Touaregs Ajjer.
Quelques précisions : mon nom est Guy BROSSOLLET. J'ai commandé le premier Peloton de la Compagnie de décembre 1957 à mars 1961. A cette date j'ai été envoyé au Laos, non à Saigon.
La compagnie méhariste des Ajjer comprenait 4 pelotons : 2 pelotons montés (méharistes) et 2 portés.
Merci d'avoir reproduit ce texte et bravo pour votre site".

Je remercie au nom de tous les internautes Mr Guy BROSSOLLET de nous avoir permis de diffuser son témoignage
.

Une nouvelle page de ce site est en préparation : elle précisera des renseignements divers afférents à cette Histoire des Méharistes recueillis par limafoxromeo auprès des internautes qui m'en font part: anciens militaires, fonctionnaires, résidents ... Tous les témoignages sont les bienvenus.

organisation
campement ou famille?
moeurs et coutumes

En plus de cette confédération, il en existe de beaucoup plus importantes au Niger et au Soudan:
ce sont les Kel Aïr, les Kel Adrar, les Ioullemeden et les Kel Grès (400.000).

ORGANISATION DE LA CONFÉDÉRATION DES AJJER:

Elle comprend une dizaine de tribus sous l'autorité de Brahim ag Abakada

( 80 ans, fut un chef de rebelles dissidents, représentant en 1918 la dernière résistance). Il demanda l'Aman. Cela lui valu d'être nommé "Amrar des Imrad du Tassili". Il est de père noble Ouraren (fraction Kel Imirhou) mais de mère Toubou.
Son autorité s'étend:
- du Nord au Sud: de l'Erg Bourarhet (secteur Nord de Polignac) à la frontière du Niger.
- d'Est en Ouest: de la frontière lybienne jusqu'à un méridien situé à une centaine de Km à l'Ouest de Tamadjert.
Cette confédération est autonome et ne reconnait comme autorité que celle imposée par la force, celle de la France.

Les Kel Ajjer, cousins des Kel Ahaggar, même langue (Tamahak) et même mode de vie, diffèrent des derniers cependant par :
- la dispersion des campements,
- le métissage du type physique plus prononcé ( mélange de races aux Ajjer).
De 1871 à 1877, hostilité entre Ajjer et Hoggar; victoire des derniers à Tarat, trêve rompue au combat de l' Assakao en 1921.
Union entr'eux vouée à l'échec: le Hoggar se tourne vers ln Salah et le monde arabe, ou vers Tamesna au Sud. Les Ajjer regardent plus volontiers vers la Lybie.

Comme les autres confédérations, celle des Ajjer est du type féodal, elle s'articule en

tribus nobles "Ihaggaren",
tribus vassales "Imrad"
et esclaves "Iklan".

 

Sur le plan politique -la tribu noble des Ouraren a actuellement le plus d'influence.

Elle se divise en trois fractions:

Le Tobol des Ouraren
groupe les tribus suivantes sous les ordres directs du caïd Ag Abakada :

1) les "Kel Toberen" dont le caïd est Hamma ag Aghammar. Elle compte 300 individus. La première femme du caïd Brahim, Aïcha bent Ouadioussen, est de cette famille.
Les campements des K. T. possèdent 5000 palmiers et des jardins dans l'oasis de l' Aharar où ils se regroupent au moment de la récolte. Pendant le reste de l'année ils nomadisent au pied du Tassili, entre Fort Gardel et Tamadjert. Quelques campements sont dans l'Adrar, à l'Est d' Afara. Les individus de cette tribu ont le teint particulièrement clair.

2) les " Kel Meddak" obéissent au caïd Biska ag Hézéroudjène qui a également sous son autorité quelques campements Izedjadjatene et Ibotanaten. Cette tribu nomadise entre Dider et le Tafelelet, région déshéritée, démunie de ressources jusqu'en 1956, où de nombreux Kel Meddak s'engagent à la C.M.A. Tribu hospitalière, ils sont particulièrement protégés par l' Amrar Brahim, car ils lui fournissaient au début du siècle, la majeure partie des effectifs pour ses rezzous (Caïd Biska, Djebrine ag Ahmoud, Brahim ag Mohamed ...)
La situation géographique de leurs terrains de parcours donnent aux K.M. une importance au point de vue politique: ils commandent tous les passages qui mènent du Tassili vers Djanet.

3) La tribu des "Idjeradjeriouene" est très liée à la précédente. Le caïd en est Aimar ag Abderhaman. Elle groupe ses campements et quelques tentes des Kel Abada, dans l'oued Imirhou et dans les massifs qui dominent à l'Est et à l'Ouest cette trouée, (Tandjet et Fadnoun).
Ils possèdent des palmiers dans l'oued Tadjeradjere, oued d'où la tribu tire son nom.

4) La tribu des "Izeouaouaten" 100 individus) nomadise entre Fort-Polignac et Fort Tarat.

5) La tribu des "Imoquarassen" sous l'obédience de Brahim, est assez éloignée de Fort Polignac et compte de nombreux campements dont certains en Lybie, sous les ordres de Abou ag Ahmed, d'autres dans la région d'Abd en Fok avec Cheïkh ag Arab, caïd nommé par la France; les plus nombreux enfin sont dans l' Anahef avec Abégouane, leur ancien caïd.

Avant la pacification, cette tribu était en état de guerre avec les populations du Tibesti "Toubou" et les Touaregs du Niger. Les hommes de la tribu ont gardé de cette époque des rezzous, un sens inné du combat individuel, de la chasse, du tir et des grands raids méharistes.

Pour ces cinq tribus, le caïd Brahim tout en gardant le commandement effectif, a délégué certaines de ses prérogatives à

Quatre tribus Imrad : Kel Intounine~ Kel Terourit~ Kel Ohet et Kel Gharis (dite IsseKamaren), appartenaient avant la conquête au Tobol des "Taïtok" pour la première, et des "Tedjehe Hellet~~ pour les trois autres. Ces deux tribus nobles du Hoggar ayant perdu leur autorité, leurs tribus Imrad ont été rattachées, soit, aux Kel Rela pour ceux habitant le Hoggar, soit, aux Ouraren et par conséquent au caïd Brahim pour ceux habitant aux Ajjer.

1) Avec leur caïd Selika, les Kel Intounnine se déplacent entre Afara et Ifernikène.Leurs troupeaux camelin comptent de très belles bêtes issues du croisement entre chameaux Ajjer et Soudanais. Cette tribu est de loin la plus nombreuse (600 individus) et la plus riche des Ajjer. Les "tindés" des femmes Kel Intounnine sont réputés dans tout le pays

2) Les Kel Terourit et les Kel Gharis, assez peu nombreux nomadisent entre l'oued Samene et Fort Polignac.

3) Doua ag Hamma dirige les campements Kel Ohet (200 individus) établis aux Ajjer, en remplacement du caïd El Kheir ag Mohamed passé en dissidence en Lybie en 1957 avec plusieurs membres de sa tribu.

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Si les Ouraren ont une influence politique importante, l'influence religieuse des "Imenan" (tribu chérifienne originaire du Maroc) ne l'est pas moins. Une longue lutte a opposé ces deux familles, les Ouraren soutenus par le Niger et les Imenan, vaincus finalement au 19° par le Hoggar.
Ils sont les plus fidèles adeptes de la "Senoussia", secte religieuse violemment francophobe, dont le chef actuel est le roi Idriss de Lybie. Le sultan "Ahmoud" des Imenan dirigea la révolte senoussiste qui enflama les pays touaregs de Fort -Flatters à Agadès. Le fils du sultan Ahmoud, Cheikh ag Ahmoud, réside actuellement à Djanet et a une autorité certaine sur la population de l'oasis et sur les tribus suivantes:

1) les "Kel Ihérir" dont le caïd est "El Hassen", cultivent des jardins et possèdent des palmiers à Ihérir. Cette tribu semi sédentaire garde durant l'hiver quelques troupeaux auprès de l'oasis
2) les "Ibotamen", cousins des Kel Ihérir, relèvent du caïd "Ghali ag Hemma". Ils possèdent des jardins, aujourd'hui abandonnés, dans le haut de l'oued "Essendilène". Les campements peu nombreux de cette tribu, nomadisent au pied du Tassili entre l'Assakao et Fort Gardel.
Dernière grande famille noble des Ajjer, les "Imerassaten" (anciens propriétaires de Tam.) sont actuellement en voie de disparition. il ne reste que quelques campements en Lybie et un représentant à Djanet : "Belkat", employé au Haghzen de l'Annexe.
Les "Ihadanaren" enfin, famille reconnue noble par leurs égaux, mais n'ayant pas d'autorité sur les tribus Imrad Ajjer, résident à Djanet avec leur caïd "Belai ag Chibéki"; cette tribu originaire de l'Aïr est affiliée aux Kel Hoggar.

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moeurs et coutumes

LE CAMPEMENT CHEZ LES TOUAREGS AJJER

Si dans la conception occidentale de la société, la famille est la cellule de base, chez les Touareg il faut remplacer cette notion de famille par la notion de campement.

TENTES

Un campement (Ihanan, pluriel de chen: la tente) groupe plusieurs tentes, soit une vingtaine de personnes, sous l'autorité de l'homme le plus âgé. Chaque ménage a une tente où couchent également les enfants en bas âge. Les vieilles femmes, les jeunes filles, les femmes célibataires ou séparées de leur mari, se groupent à l'écart. Les hommes seuls quand ils sont là occupent un autre abri. Les esclaves se débrouillent au mieux. . .
Le mot tente a été employé plus haut pour désigner le type d'habitat des Touareg. En fait, peu de familles sont assez riches pour s'offrir une tente. Celle-çi se compose d'un ensemble de 50 à 80 peaux de mouflon ou de chèvre, teintes en ocre rouge, cousues bord à bord et reposant sur cinq piquets. Un paravent ou "issaber" tressé en tiges de "morkeba", haut d'un mètre environ et long d'une dizaine de m. est déroulé verticalement à l'intérieur de la tente et complète le montage.
Les familles moins aisées s'abritent dans une grotte ou sous une infractuosité de rocher. Si le campement s'établit dans un oued, il construit des zéribas en drinn pour la durée du séjour.
Au campement les soucis domestiques reposent sur les femmes: elles vont chercher l'eau et le bois, écrasent le blé, traient les chèvres, etc... Les loisirs sont consacrés au travail du cuir, seul artisanat connu des campements; la confection d'un sac de sel (tassoufar ou dabia) demande une trentaine de peaux de gazelles ou moutIons et peut coûter jusqu'à 500 fr.
Les hommes, quand ils ne sont pas en déplacements pour ravitailler leur famille, ou partis rechercher leurs chameaux, ne font pratiquement rien.
Les enfants jusqu'à neuf ou dix ans jouissent d'une liberté parfaite. Passé cet âge, les fillettes apprennent à garder les chèvres et les garçons s'initient aux secrets des pistes et des traces, avec les adultes de la famille.

ESCLAVAGE

Plus haut nous avons parlé d'esclaves, les mots d'esclaves ou de "captifs de tentes" peuvent choquer les oreilles européennes. Descendant des nègres capturés par les touaregs lors de leurs rezzous au Soudan et réduits à 1‘état de domestiques, ils s’occupent des travaux ménagers et de la garde des animaux. Il existait encore en 1958 dans l' « Ahanef », un nègre presque centenaire qui avait la langue coupée; cette mutilation est une exception. Bien traités de nos jours, les esclaves restent au campement auquel ils sont rattachés et ne profitent pas de la protection qui leur est offerte en permanence par l’ Administration Française, s'ils veulent retrouver leur liberté.
Mais il faut reconnaître que les esclaves (Iklan) sont méprisés par les Touaregs, et seuls les hommes noirs peuvent manger avec les femmes. Un Targui ne se dévoilera jamais devant une femme de sa race, car sa bouche est considérée comme impure. Par contre, la bouche d'un captif est chose insignifiante et peut se montrer.
Les noirs des campements ont souvent profité des facilités que leur donnait le contact permanent avec les femmes de leurs maîtres. Ces maîtres ont parfois aussi abusé du pouvoir qu'ils détenaient sur leurs captives... Seules les femmes esclaves avaient le droit d’avoir des enfants illégitimes, car ceux-ci augmentaient le nombre des domestiques en
service dans le campement. C' est pourquoi il est de mauvaise éducation de demander le nom du père d'un nègre!

DEPLACEMENTS

Le Tassili des Ajjer, très arride, oblige les campements à se déplacer pour faire subsister leurs troupeaux. S'il arrive parfois que le maader Tarat soit inondé, il y pousse sur plusieurs centaines d’hectares, une sorte de luzerne haute d’un mètre. Mais ces années d'abondance sont rares (en moyenne une fois tous les cinq ans); c'est la seule occasion d'un rassemblement des campements Ajjer.
En période normale, de semi-disette, les Touaregs Ajjer ne pratiquent qu'un petit nomadisme et la tribu ne se déplace pas plus de 80 à 100 km, d’une extrémité à l’autre de sa zone de nomadisation. D'ailleurs les chèvres ne peuvent supporter qu'exceptionnellement de grands déplacements. Ces chèvres fournissent l'alimentation de base des Touaregs Ajjer.

ALIMENTATION

Le lait à lui seul constitue une nourriture qui suffit parfaitement à tous: hommes, femmes et enfants. Avec ce lait, les femmes font une sorte de beurre liquide (oudi) ou des fromages (tikamarine). Mais en période de sécheresse le lait est âcre. n faut songer à remplacer cet aliment naturel et gratuit par des dattes ou des céréales. Les dattes viennent de Djanet, du
Fezzan ou des oasis du Tassili; pilées avec un peu de fromage sec, elles forment un concentré très nourrissant et peu encombrant dont les Touaregs se nourrissent quand ils ont de longues pistes à parcourir, c'est le "tarkit".
Quant aux céréales, il s'agit du mil venant du Niger en plus grande partie ou des jardins de Djanet, et du blé dur. Quelques campements particulièrement pauvres récoltent les graines de drinn et de morkeba pour en faire des galettes, et le "danoun", sorte de plante qui hésite entre l'asperge et la pomme de terre.
La viande, plat de luxe réservé aux fêtes et aux hôtes de marque, est fournie aussi par le troupeau caprin. Un chamelon n'est égorgé dans les campements les plus riches que pour des occasions exeptionnelles. La chasse fournit également un appoint appréciable: les Touaregs Ajjer, presque tous armés de fusil de guerre (armes récupérés lors de la retraite des italiens en 1943) sont d'exellents chasseurs et leurs connaissances du gibier et de ses habitudes, leur science des traces, leur permet d'approcher un mouflon ou une gazelle à moins de cinquante mètres.
Les chèvres des "Kel Oulli" (littéralement ceux des chèvres) surnom donné aux Touaregs non-nobles, combien sont-elles pour faire vivre la population Ajjer? Sept mille peut-être... Une année particulièrement sèche ou un hiver très dur comme celui de 1959 à 1960, peut faire diminuer brutalement de moitié le cheptel des campements.
Moins sensibles au climat, les troupeaux camelin comptent environ trois mille têtes.

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MOEURS ET COUTUMES

Dans ce cadre du campement qui est le cadre même de la vie des Touaregs, qu'elle est la vie de l'individu? Les grandes étapes de son existence?

NAISSANCE

La naissance se passe sans aucune aide, sinon celle assez négligeable donnée à la future mère, par les encouragements des quelques vieilles qui l'assistent. La femme accouche accroupie sur le sable et emporte son nouveau né dans un pan de son voile, ou dans un morceau de "tarit", cette étoffe bleue qui, au dire des Touaregs, protège tout aussi bien du froid que de la chaleur.
Beaucoup d'enfants meurent en bas âge, étant exposés aux intempéries ou privés des soins qui pourraient les sauver. Autre cause de

mortalité, l'infanticide qui se pratique encore dans le Tassili. La femme non mariée et enceinte si elle a pu échapper à la suveillance des matronnes du campement et dissimuler sa grossesse, accouche en gardant ses chèvres et abandonne le nouveau-né sous un rocher.
Il est certain d'autre part, que les femmes des Ajjer connaissent des procédés anti-conceptionnels et avortifs. On cite parmi eux: la graine de colloquinte, l’urine d'âne et le henné; sous toutes réserves quant à leur efficacité.
Si l’enfant vit il est allaité pendant deux ans. Il est à noter que les espacements des naissances dans les familles très nombreuses, jusqu'à dix enfants de la même mère, correspondent à ce même laps de temps.
La jeune accouchée doit selon l'usage rester quarante jours sans voir son mari. Au septième jour un prénom est donné à l'enfant. Les noms touareg, qui d'ailleurs cèdent peu à peu la place aux noms arabes, se transmettent d’oncle à neveu et de tante à nièce. C'est pourquoi certains noms ne se retrouvent que dans un seul campement.
Jusqu' à son baptême l'enfant est protégé des mauvais esprits "Djénounns", par un grand couteau fiché dans le sol à côté de l'endroit où il dort. De même une femme qui a perdu en couche plusieurs enfants, détourne les esprits, en donnant au suivant un nom de captif; le nègre étant une personne trop insignifiante pour attirer les mauvais sorts!

CIRCONCISION

La circoncision rituelle des garçons se fait vers cinq ou six ans.
C'est une fête pour tout le campement, sauf pour la victime qui souffre beaucoup pendant l'opération elle-même et qui faute de soins, attend plusieurs mois la cicatrisation, avec une verge déformée et purulente.
Les chefs de pelotons ont quelquefois l'occasion de soigner ces malheureux gosses.

CHECHE ET VOILE

Une étape importante dans la vie du jeune Touareg est atteinte le jour où il reçoit le chèche pour les garçons, ou le voile pour les filles. Ils ont alors treize ou quatorze ans et terminé ou presque leur puberté. Ils peuvent à partir de ce jour participer à l'" Ahal" ou au "Tindés", réunions galantes dont on reparlera.

MARIAGE

De grandes fêtes ont lieu à l'occasion du mariage. La coutume veut que les 'jeunes filles", ce qui est un terme approché pour de jeunes personnes qui perdent très tôt leur virginité, se marient pour la première fois vers quinze ou seize ans. Les hommes eux attendent jusqu'à vingt-cinq ou trente ans.
Les mariages consanguins sont les plus fréquents, mais comportent moins de risques pour ce peuple assez rude que pour les européens. La femme étant assez libre, le mariage forcé à la mode arabe, n'existe pratiquement pas.
En dehors de l 'habillement de sa future épouse, le jeune Targui doit offrir sept chamelles (3.500 fr), s'il épouse une jeune noble, ou une trentaine de chèvres (1.500 fr) pour une femme Imrad. Le prix d'une esclave est moins élevée.
La fête du mariage dure théoriquement sept jours. Les grandes réjouissances, les débauches de couscous et de viande ne durent que deux ou trois jours. Le tam-tam "tindé"( du nom du mortier en bois sur lequel on tend une peau), et les danses de chameaux "ilougane" font également partie de la fête.
Le rituel de la cérémonie même du mariage, cérémonie qui a lieu pendant le courant de la nuit, comprend: des processions vers les campements respectifs des deux époux, l'édification d'un lit de sable, le montage de la tente du nouveau couple et la psalmodie de quelques versets du Coran. Tout ceci se termine presqu'au petit jour et ne laisse que très peu de temps aux jeunes époux pour faire plus ample connaissance... qui préfèrent reporter "ce moment difficile", aux lendemains moins agités. Le nouveau couple reste au moins un an dans la famille de la femme avant de rejoindre le campement du mari.
Le Targui n'a généralement q'une femme car l'acquisition d'une nouvelle épouse est relativement onéreux. La séparation est admise et ne pose aucun problème, car à la différence des usages arabes, les enfants appartiennent à la mère et sont repris normalement en charge par le nouvel époux en cas de remariage. Le divorce peut être demandé par l'une des deux parties. La dot revient à l'homme, si la femme manifeste la première son mécontentemtmt et fait savoir qu'elle veut se séparer de son mari.
En cas de divorce, la femme, pour parer à une éventuelle grossesse, doit rester trois mois et dix jours isolée, sans sortir de sa tente. En cas de veuvage, cet isolement est porté à quatre mois et dix jours, sans se laver ni changer de vêtements. Cet isolement n'est que de huit jours pour l'homme. Dans les deux cas, cette demi réclusion se termine par une fête et un "tindé" quand il s'agit d'une personne dont les charmes peuvent encore prétendre à d'autres succès.

LA MORT

La mort n‘effraye pas le Targui et ses proches. Si même un sentiment de crainte ou de douleur est ressenti, il n ‘ est pas exprimé, car il est de trés mauvais goût aux Ajjer d'extérioriser un quelconque sentiment surtout quand il s'agit d'affaires sérieuses.
Le mort est inhumé le jour même de son décès, dans un suaire blanc, couché sur le côté droit, le visage tourné vers La Mecque. Sa tombe est marquée d'un cailloux à la tête et d'un autre aux pieds, (deux aux pieds pour les femmes). Le campement se déplace de quelques centaines de mètres aussitôt après.

DISTRACTIONS

Au chapitre des distractions, que peut-on citer?
L'oisiveté d'abord et les femmes ensuite. Elles tiennent une place prépondérante dans la société touarègue. L'oisiveté se défini d’elle-même ; quand elle pèse trop, les hommes pratiquent sur le sable avec des crottes de chameau un jeu qui ressemble aux dames. Quant àla femme, c’est l'autre distraction ou préoccupation constante des Touaregs. Elle sait se faire remarquer aux "tindés" par le fini de sa toilette (coiffure, bijoux) et par ses chants .

TINDES

Les tindés sont des réunions musicales au cours desquelles les hommes rentrent en transes et sont relativement sérieuses. On écoute des chants qui vont de l’épique au banal quotidien. On se grise de tam-tam jusqu'à l'aube.

L'AHAL

Quant à "l' Ahal', mot très mal traduit par "cour d'amour", il est à la limite et même au-delà des limites, que la morale définit comme acceptables! Si encore une séance d’ahal n’avait comme seuls témoins que les deux partenaires directement intéressés, un voile pudique pourrait être jeté sur cette institution somme toute assez fréquente chez d'autres peuples ; il en n' est rien : la séance quoique nocturne est pratiquement publique. Son cérémonial est extrêmement strict.
Prenons le cas d'un groupe de méharistes qui s'arrête le soir dans un campement. Le repas se passe uniquement entre hommes: thé, couscous, échange de nouvelles, occuppent tout le monde au moins jusqu'à dix heures. Ensuite il est de bon ton et de bonne politique de se transporter jusqu'à la tente où sont réunies toutes les femmes, d'y échanger des propos de politesse, de repérer quelques jeunes personnes et de se renseigner discrètement sur leur position matrimoniale. Cette première entrevue terminée, on se sépare sans se dire "à demain" mais "au revoir".La première formule serait interprètée comme une incorrection et un refus à priori, de se revoir durant la nuit.
Les gens mariés regagnent leurs tentes. Les méharistes vont se changer, se parfumer et revêtir les étoffes les plus bleues. Les vieilles emmènent, pour les surveiller croit-on, les jeunes personnes libres et le clan f'éminin qui loge dans une même tente et font semblant de s'endormir. Les plus jeunes, tentées par l'aventure, ont soin de se séparer d'un mètre ou deux des personnes d'âge mur, pour que toute confusion sous les voiles ou sous les couvertures soit impossible.
Il est plus de minuit quand les quelques méharistes s'approchent et par une série de compliments ou de questions parfaitement fixées par l'usage, demandent aux jeunes fIlles d'accorder un entretien aux "fils d'Adam misérables"qui sont à leurs pieds.
Si les jeunes filles acceptent, c'est le cas le plus général, elles s'installent sans pudeur sur les genoux des visiteurs et se laissent caresser plus que courtoisement jusqu'à l'aube. S'il y a plus de visiteurs que de visitées, ce n'est pas plus gênant car les jeunes filles se laissent aussi bien caresser par deux ou trois hommes à la fois! S'il n'y a qu'un visiteur ou si ses camarades, las ou découragés, sont partis, il peut tout en restant assis et ceci à proximité immédiate des grand' mères et des tantes toujours très indulgentes, pousser assez loin son avantage. Les cuisses de ces charmantes personnes sont très accueillantes. Elles accordent parfois plus si elles ne craignent pas une honteuse grossesse.
Le lendemain tout est oublié et la dignité des hommes bleus retrouvés. Même si aucune femme n'est célibataire, il est de bon ton avant d'aller dormir, de faire un tour près des tentes pour y laisser l'empreinte de vos pas qui sera certainement relevée le lendemain matin. On notera ainsi votre politesse et votre gaIanterie.
Au même chapître, précisons que les Touareg possèdent des recettes d'aphrodisiaques masculins (guengouari) ou f'éminins très efficaces. Le redoutable "borbor" est une préparation à base de viande et de poils férninins. On prétend qu'avec ce produit les femmes retiennent près d'elles l'homme qu'elles désirent, en l'amenant à un état d'obéissance voisin de l'abrutissement.

RELIGION

Pour en fmir avec la vie individuelle du Touareg, signalons que sa religion laisse une large part au fétichisme. il n'y a qu'à voir le nombre d'amulettes de toutes sortes dont il s' afIuble : certaines n'ont rien à voir avec les versets du Coran!
S'ils font la prière, leur connaissance de la langue arabe est évidemment insuffisante pour leur permettre de comprendre ce qu'ils disent. Dans beaucoup de campements le ramadan n'est pas respecté.
Pour connaître l'avenir il préfère, au marabout de l'Islam, les séances de divination sur les tombeaux préislamiques. Les femmes revêtues de leur tenue de fête, se couchent sur le monument et prétendent voir en songe les activités de l'homme de la famille qui est en piste et le lieu exact où il se trouve. Les femmes d'Ihérir obtiennent dit-on, un résultat analogue quand elles rentrent en transes devant un miroir placé en face d'elles dans un lieu parfaitement obscur.

Épilogue: le peloton méhariste disparaîtra quelques jours après l'indépendance algérienne, début juillet 1962.

Sommaire de Sahara et limafoxromeo
...ceci est un " Témoignage du Passant-Bleu "
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