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Historique des Compagnies Méharistes |
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Suite : fin du chapitre 5
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Dans le Sahara occidental, la guerre de 1914-1918 n'a pas de répercussion. Les rezzous restent aussi nombreux, mais nous n'avons à faire face à aucune agitation politique.
Il n'en est pas de même dans le Sahara oriental puis dans le Sahara central.
L'immense quadrilatère, deux fois comme la France qui va de Ouargla aux confins Soudanais et d'In Salah à Ghat et Ghadamès est confié aux quatre cents méharistes de la compagnie saharienne du Tidikelt. S'il ne s'agissait que d'y réprimer le banditisme, cette poignée de Sahariens y suffirait peut-être. Mais l'ennemi dans les confins algéro-tripolitains d'abord, dans les trois massifs montagneux (Hoggar, Adrar, Aïr) ensuite, poursuit un objectif plus grave de conséquences que celui des razzieurs de troupeaux et d'esclaves de l'ouest. Cet ennemi fait la guerre, la guerre aux étrangers, Italiens et Français, la guerre aux chrétiens, la guerre sainte en un mot, inspirée par la confrérie xénophobe de la Senoussia.
En même temps que les Italiens soumettaient
le Fezzan (fin 1913), les Senoussistes chassés du Tibesti par l'avance de
nos troupes se rassemblaient (mars 1914) à Ouaou el Kebir (Fezzan).
S'appuyant sur certaines tribus nomades, ils s'emparent le 28 novembre
1914 de la Gara de Sebha (devenu par la suite Fort-Leclerc) dont la chute
va déclencher l'évacuation générale des postes italiens jusqu'à la côte et
l'abandon d'importantes quantités d'armes, de munitions (1) et
d'approvisionnements.
Pendant près de deux ans, le Fezzan sera
sous le pouvoir du Senoussi, Seyed Mohammed El Abed
qui s'appuiera sur les nomades favorables à sa cause.
Dès l'évacuation du Fezzan par les Italiens,
nos troupes renforcent leur surveillance à la frontière sans avoir à
intervenir pendant plusieurs mois. Les lieutenants de Seyed El Abed,
travaillent discrètement mais activement nos tribus, tandis qu'ils
préparent une action de force à la frontière tunisienne.
Au mois de septembre 1915, le chef berbère en révolte, Khalifa ben Asker en liaison avec les lieutenants d'El Abed s'attaque aux postes français de Déhibat et de Mechehed Salah, non loin de Nalout d'où les Italiens viennent d'être chassés. Les tribus du sud tunisien sont entraînées dans la révolte. Le 25 septe:mbre, Tripolitains et rebelles tentent d'enlever le poste de Bir Demtsa. Le 2 octobre, c'est celui d'Oum Souigh qui subit l'assaut de deux mille hommes. La garnison du bordj composée d'une compagnie du 126° régiment d'infanterie territoriale, d'une demi-peloton du 4° régiment de spahis et d'une quinzaine de goumiers tunisiens résiste pendant une semaine alors que l'on s'attendait à ce qu'elle succombât sous le nombre.
(1) Un million de cartouches, dit on; toutes ces munitions seront tirées sur nous .
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Le 9 octobre, une colonne de secours venue de Tataouine aux ordres du chef de bataillon Morand (1/10 R.T.A., deux compagnies du 5e bataillon d'Afrique et un détachement de sahariens (1) commandé par le lieutenant Levasseur du Tidikelt et comprenant une section de canons de 80 mm. et une section de mitrailleuses du goum à pied des Ajjer) parvenait à dégager les défenseurs d'Oum Souigh après une dure bataille (2).
A la suite de cet échec, le Grand Senoussi désavoua Khalifa ben Asker et nous fit des protestations d'amitié. Au Fezzan, il se défendait d'apporter la moindre aide aux chefs Ajjer dissidents.
(1) Alors que la menace sur le sud tunisien était encore
imprécise un groupement saharien commandé par le
chef de bataillon Meynier avait été appelé en renfort. Pendant
la première quinzaine de septembre il avait campé non loin d'Oum Souigh
(Bir Gerraouïa). L'attaque attendue ne s'étant pas déclenchée, ce
groupement était rentré en Algérie à l'exception du détachement
Levasseur qui put être rappelé à temps et qui put participer
à la délivrance d'Oum Souigh.
(2) Le lieutenant
Levasseur fut cité à l'ordre de la Division et le Saharien
Cheboun ben Saïd du Tidikelt, grièvement blessé, fut décoré de
la médaille militaire et reçut la première palme accordée à un saharien.
En réalité, Seyed El Labed préparait l'attaque de Djanet en fournissant un contingent tripolitain, des armes et même un canon italien. Sûr de son influence, il encourageait les tribus serves soumises à la révolte. Au début de l'année 1916, sa propagande devient active et fructueuse, elle provoque des départs en dissidence, quelques désertions de méharistes et ébranle la fidélité de certains caïds ksouriens. Les relations avec le chef du poste de Djanet, jusque là courtoises, deviennent incorrectes. Abdesselem Chardag Tarhouni (Kaïmakam de Ghat) et Sultan Ahmoud s'agitent à Ghat où ils rassemblent une puissante harka. Le 6 mars 1916, c'est l'attaque brusquée du bordj de Djanet. Une méhalla de plusieurs centaines d'hommes bien armés et pourvus de canons, assiège le fortin défendu par le maréchal-des-logis Lapierre, le brigadier Buc, vingt-et-un sahariens du Tidikelt, vingt goumiers auxiliaires d'In Salah et d'Ouargla, trois auxiliaires touareg (ces derniers devaient passer plus tard à l'ennemi).
Pendant dix-huit jours, le poste est sous le feu du canon ennemi qui y cause de sérieux dégâts malgré la contre-batterie effectuée par la pièce de 80 mm. Pendant dix-huit jours, une pluie de balles s'abat sur la garnison qui a deux tués et sept blessés; mais le maréchal-des-logis Lapierre a ses hommes bien en main. Le 20 mars, le canon ennemi est réduit au silence; cependant les assiégés se voient coupés de leur seul point d'eau qui est battu par le feu adverse. Les secours demandés à Fort-Polignac {3} ne sont pas arrivés, le moral s'en ressent. Il faut tenter une sortie. Le 23, au début de la nuit, une première tentative échoue. Le 24, vers une heure du matin, une seconde réussit et c'est la retraite nocturne, lente, vers le nord-ouest à travers le plateau du Tassili, à la recherche d'un point d'eau. Le 25, au puits de Tabarakat, Lapierre recoupe les traces du capitaine Duclos commandant le secteur des Ajjer qui, à la tête d'une centaine d'hommes rassemblés en hâte dans la région, vole au secours de Djanet. Laissant sur place le brigadier Buc et les blessés, Lapierre avec une trentaine de sahariens repart vers Djanet sur les traces de la colonne de secours. Le 26, il arrive sur l'emplacement du combat soutenu par le groupement Duclos qui s'est heurté à Djanet avec ses carabines à la mehalla senoussiste forte de sept à huit cents guerriers et disposant de deux canons.
(3) Dans la nuit du 9 mars deux sahariens avaient réussit à sortir du bordj et à porter un message au pâturage de Tarat parcourant deux cent cinquante kilomètres à travers le Tassili en quatre-vingts heures. Ils furent décorés de la médaille militaire.
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Dans une lettre à son père le capitaine
Duclos écrivait: « J'ai été reçu à coups de canon, je n'en avais
pas. Mes cent cinquante fusils, réduits à cent sur la ligne de feu, ne
pouvaient rien contre un fortin défendu par le canon. Je me suis dégagé
rapidement.
Ma conscience est nette: attaquer à mille kilomètres de tout renfort, avec
cent hommes« en ligne, un fortin ennemi muni d'un canon (ou de
canons) insoupçonnés; sentir son équipage sous le feu des fusils et sous
celui du canon, être dans l'alternative ou de remporter un succès complet
à un contre quatre ou bien de consommer le sacrifice des cent cinquante
existences humaines dont on a la charge, c'est là une situation qui exige
une décision prompte. A 5 heures, j'attaquais, à 6 heures 25, je donnais,
la rage au cœur, l'ordre de se dégager rapidement. Je reste avec la
conviction que j'ai fait mon devoir.
« Le terrain, qui n'était qu'un éboulis de rochers, nous a garantis; nous n'avons eu que trois blessés et notre retraite a pu se faire sans grandes difficultés »,
Mais le maréchal-des-logis Lapierre croit que le capitaine Duclos a réoccupé le fort. Il tombe sur un détachement ennemi et doit décrocher sous le feu. Le 27, il passe au tilmas d'Assassou en route pour Essendilen. Mais, sans doute trahi par un auxiliaire qui a déserté la veille, il est attaqué vers 17 heures par une cinquantaine de dissidents embusqués dans les rochers. Bientôt c'est la débandade de ses hommes qui se rendent et s'enfuient et il reste seul avec six fidèles Chaamba. Capturé avec eux, il est emmené à Djanet devant Abdesselem et Sultan Ahmoud. Le ler avril le brigadier Buc, qui a été trahi lui aussi par un déserteur, est fait également prisonnier. Tous deux sont ensuite transférés à Ghat puis, par l'Oued ech Chergui, le Chatti, Sebha. conduits à Ouaou el Kebir. Là, le maréchal-des logis Lapierre restera de mai 1916 à octobre 1918. Il verra mourir d'épuisement de nombreux indigènes de la région et surtout ses camarades de capitivité : le brigadier Buc, le brigadier Béchet, pris au combat d'In Annedjen (10 juillet 1916) (1), le soldat J .-B. Brussot, capturé à Oum Souigh et le caporal italien J. Barbieri, du 6e régiment d'infanterie pris lors de l'évacuation de Nalout. En automne 1918, seul survivant, il est emmené à Koufra où se trouve l'une des zaouia-mères de la Senoussia. Il y arrive le jour de l'armistice, mais c'est le 30 avril 1919 seulement, à Benghazi, après une marche exténuante, que prend fin sa captivité.
Le maréchal-des-logis Lapierre avait mis à profit sa longue détention pour recueillir des renseignements géographiques et politiques de première importance (2).
(1) Voir ci-dessous, page 63, le
combat d'In Annedjen.
(2) Le maréchal-des-logis
Lapierre fut nommé chevalier de la Légion d'honneur avec la
citation suivante:
" Lapierre Laurent, maréchal-des-logis à la
compagnie saharienne du Tidikelt, chef de poste de Djanet (extrême sud)
a soutenu du 2 au 27 mars 1916, contre des forces très supérieures un
investissement pendant lequel il a fait preuve des plus belles qualités
de soldat et de chef. Après avoir réussi une sortie qui mettait ses
hommes provisoirement hors de danger, a rebroussé chemin pour rejoindre
un détachement dont il avait recoupé les traces. Fait prisonnier avec
les survivants de sa troupe après trois jours de marche forcée en zone
désertique a subi une captivité de trois ans et demi au cours de
laquelle il a vu mourir de privations et de misère physiologique ses
compagnons d'infortune. A conservé malgré ses souffrances physiques et
morales, la plus digne attitude vis-à-vis de ses ennemis et fait preuve
d'un. bel esprit militaire. Croix de Guerre ".
Le chef de bataillon Meynier, commandant du territoire des Oasis, pour venger l'échec de Djanet et reprendre Fort-Charlet(3) organise une puissante colonne d'opérations (4) avec deux canons de 80 mm. et quatre mitrailleuses dont il prend lui-même le commandement.
Parti d'Ouargla en avril, le groupement
Meynier arrive devant Djanet le 11 mai. Le capitaine
Pommier avec son goum de Chaamba prend le contact dans
l'après-midi par le nord de l'oasis. " Le 11 mai au soir, le gros de la
colonne s'approche par le sud des premiers jardins d'Adjahil et prend
pendant la nuit ses dispositifs pour l'attaque du fort le lendemain. Le 12
mai, par suite du feu intense que les assiégés dirigent sur la colonne
dont la position en contre-bas est nettement défavorable, celle-ci se
retire en bon ordre en essuyant quelques pertes. Le 14 au matin,
l'attaque est reprise et dure jusqu'au 15 après-midi, les Touareg sont
chassés du fort et repoussés sur Ghat. Une petite garnison est laissée à
Djanet tandis que le gros de la colonne se lance jusqu'à El Barkat, poste
frontière, à la poursuite de l'ennemi. Les Touareg entrent dans Ghat,
confiants dans la sécurité que leur assurera cette ville (5). Le 23 mai,
un combat de peu d'importance a lieu dans les environs et, quelques jours
après, une forte patrouille accompagnée des canons et des mitrailleuses
opère sans incident le tour de la ville.
"Toute la colonne se retire ensuite à El Barkat où elle reste jusqu'au 25
juin pour permettre aux animaux de se reposer» (6).
(3) Nom donné au bordj de Djanet
en souvenir du commandant Charlet tué en Champagne en septembre 1915.
(4) Le goum d'Ouargla (capitaine
Pommier), la compagnie saharienne d'Ouargla (capitaines
Levasseur et Ducroux), des
éléments de la compagnie du Tidike1t. La compagnie saharienne d'Ouargla
a été créée par le décret du 5 septembre 1914 et mise sur pied le l"
février 1915.
(5) Il était interdit d'y pénétrer.
(6) Historique de la compagnie saharienne
d'Ouargla. Paris. Ed. Charles Lavauzelle. 1920.
Mais les Ajjer nont pas désarmé et s'attaquent à la ligne de communications du groupement Meynier, à la longue et difficile voie qui, d'Ouargla, passe par Fort-Lallemand, le Gassi Touil, Fort-Flatters, AÏn el Hadjadj , Fort-Polignac et le Tassili.
Le 9 juillet 1916, un rezzou formé à Ghadamès vient enlever à vingt-cinq kilomètres de Fort-Flatters, dans l'Oued Tanezrouft, un convoi de ravitaillement destiné à la colonne des Ajjer. Le brigadier Béchet et deux méharistes de l'escorte, sont faits prisonniers. Le capitaine Le Quitot qui est à Fort-Flatters organise une poursuite avec soixante-cinq fusils (goumiers d'Ouargla et sahariens de Touggourt (3). En dix-huit heures l'ennemi est rejoint à In Annedjen mais il est le plus fort et les sahariens doivent se replier sur Tabankort avec des pertes sérieuses (dix tués de la compagnie de Touggourt) sans avoir pu délivrer les prisonniers (4), Un sous-officier indigène obtient la médaille militaire et cinq méharistes la croix de guerre.
Peu après cette affaire, l'ordre est donné d'abandonner Djanet et sa région, trop difficiles à ravitailler. Le groupement Meynier, par Tarat et Fort-Polignac, regagne Fort-Flatters le 15 août 1916. -
Fort-Polignac devient ainsi notre poste le plus avancé vers le sud-ouest, il a une garnison d'une centaine d'hommes (lieutenant Parent, puis lieutenant Morel de la compagnie d'Ouargla). Centré sur Tabelbalet, le capitaine Duclos avec un peloton du Tidikelt et un peloton de Touggourt (sous-lieutenent Girod) assure la sécurité des communications de Fort-Polignac, qui devient le P.C. du lieutenant-colonel Meynier (5). Celui-ci garde avec lui l'artillerie de la compagnie d'Ouargla (capitaine Ducroux). et la section de mitrailleuses de la même unité (capitaine Levasseur).
(3) La compagnie saharienne de
Touggourt. créée par décret du 10 mars 1916, mise sur pied le l" avril
de la même année, avait sa portion centrale à El Oued.
(4) Les deux méharistes indigènes furent
relâchés. Le brigadier Béchet devait
mourir de privations à Ouaou el Kébir (cf. p. 62).
(5) Le commandant militaire du Territoire des
Oasis avait été promu lieutenant-colonel en juin.
En septembre. 1916, le groupe Duclos escorte un convoi amenant à Fort-Polignac des vivres et un poste émetteur-récepteur de radio. Le 6, vers 16 heures, dans l'Oued Ehan (1) la colonne qui a campé pour laisser passer le gros de la chaleur, est brusquement attaquée par une centaine de Touareg de Boubekeur ag Allegoui. Le capitaine Duclos était sur ses gardes; depuis le début de la halte, il est allé de sentinelle en sentinelle pour les stimuler et les empêcher de succomber à la fatigue et au sommeil. Sa riposte est vive et meurtrière. Cependant ce n'est qu'après trois heures de combat que le sous-lieutenant Girod contre-attaquant avec ses cinquante méharistes enlève la décision: les Touareg s'enfuient laissant douze morts sur le terrain. Nous avons trois tués (2) et sept blessés (3).
(1) Cent kilomètres ouest de
Fort-Polignac.
(2) Dont l'adjudant
Lenoir de la compagnie saharienne du Tidikelt.
(3) Le capitaine Duclos
reçut la croix de chevalier de la Légion d'honneur.
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En novembre, un important convoi de ravitaillement quitte Fort-Flatters à destination de Fort-Polignac. Il est divisé en quatre groupes se suivant à un ou deux jours d'intervalle et protégés par les forces combinées des capitaines Duclos, Ducroux et Levasseur. Un détachement assez important de Touareg Ajjer conduit par Brahim ag Abakada, averti du passage du convoi, laisse le gros des troupes et de la caravane arriver à Aïn el Hadj adj et en repartir. Puis, dans la nuit du 27 au 28 novembre, il tombe à douze kilomètres au sud de Tabelbalet sur la dernière fraction du convoi. Celle-ci est enlevée; le maréchal-des-logis François qui la commande est tué ainsi que quelques goumiers. D'aucuns qui échappent aux Touareg apportent la nouvelle à Aïn el Hadjadj où se trouve le colonel Meynier. Un groupement de tirailleurs et de spahis est immédiatement envoyé à la poursuite des razzieurs; il est lui-même attaqué dans l'oued Amastane le 7 décembre. Quinze tirailleurs sont tués, le reste du détachement rentre à Aïn el Hadjadj. Encore un convoi qui n'arrive pas à la malheureuse garnison de Fort-Polignac dont pourtant l'état sanitaire est inquiétant à cause d'une grave épidémie de scorbut.
Sous les coups répétés de l'adversaire, les animaux de bât sont décimés et les ressources en chameaux de tous les territoires s'épuisent. Les dissidences se multiplient au Hoggar où le Père de Foucauld vient d'être assassiné. Il devient nécessaire de regrouper nos forces et d'évacuer les régions indéfendables; l'ordre est donné d'évacuer Fort-Polignac. Sous la protection du capitaine Duclos, les troupes françaises évacuent ce poste le 23 décembre 1916 et arrivent à Ain el Hadjadj le 26 où est laissée une petite garnison de sahariens et de tirailleurs aux ordres du capitaine Levasseur. Le poste de Fort-Flatters est mis en état de défense. Il constituera notre point fort dans le Sahara oriental; la majeure partie de la compagnie d'Ouargla (capitaine Baudoin) y est affectée.
Le 13 février 1917, le détachement laissé à Aïn el Hadjadj est attaqué de nuit par cent soixante-dix Touareg environ. La garnison qui compte vingt-six sahariens de la compagnie d'Ouargla et quatre-vingt-onze tirailleurs de la 5e compqgnie du 7° R.T.A. livre un combat violent et repousse les assaillants qui laissent de nombreux morts sur le terrain. Nous perdons le médecin aide-major Vermalle (tué d'une balle au cou alors qu'il défendait à coups de revolver les blessés dont il avait la charge), cinq sahariens et huit tirailleurs. Nous avons en outre dix-huit blessés. Un peloton de secours envoyé de Fort-Flatters ramène les blessés.
**
Alors que nous étions ainsi préoccupés
dans la région des Ajjer, les Touareg Hoggar de Moussa
ag Amastane restaient heureusement réfractaires aux appels à la
révolte qui leur parvenaient de l'est: L'aménoukal coopérait même avec nos
troupes dans la lutte menée contre les rezzous Beraber, Reguibat, Ouled
Djerir qui infestaient le Soudan.
Nous lui avions remis des armes et il
faisait la police avec ses partisans.
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Le 13 novembre 1914, Moussa ag Amastane avec dix-huit Touareg de son goum se lance à la poursuite d'un rezzou qui a opéré dans l'Adrar. Après une course épuisante de plusieurs jours, il rejoint les pillards au puits de Tarhmanant, leur livre combat et les défait totalement (quatre seulement réussirent à fuir {avant de mourir} de soif) ne perdant lui-même que deux tués et trois blessés.
Pendant ce temps, son lieutenant Akhamouk ag Yemma qui venait lui prêter main-forte, recoupe les traces d'un autre rezzou, qu'il poursuit et anéantit à ln Dagouber.
Au début d'avril 1915, Moussa ag Amastane est informé des méfaits commis par une bande de Beraber au pâturage d'Arli (Timetrin). Il en rend compte au capitaine Girod, commandant le groupe de police du Bas-Touat de la compagnie àu Tidikelt, qui se trouve à Bouressa. Celui-ci accompagné de Moussa et de son goum rejoint et anéantit le djich, après dix jours de poursuite à cinquante kilomètres à l'ouest de Tagencut. L'ennemi, qui a abandonné ses prises, a de grosses pertes (onze tués, trois prisonniers); en outre, ses bagages, armes et montures restent entre nos mains.
De notre côté, un seul mort, !e beau-frère de Moussa ag Amastane (1).
A la fin de l'année 1915, dans l'Adrar, les Touareg de Moussa livrent encore combat à un rezzou d'une centaine de Beraber, Ouled Djerir et Ouled Delim qui est mis en fuite après une lutte acharnée. Les pertes sont sensiblement égales, neuf tués chez Moussa contre douze au rezzou.
(1) Le capitaine Girod fut cité à 1'ordre de l'Armée et tout son groupe reçut la médaille coloniale avec l'agrafe" A.O.F."
Mais bientôt les méharistes du Hoggar ont affaire à d'autres ennemis que les pillards des confins algéro-marocains. La propagande senoussiste chez les Touareg d'A.O.F. porte ses fruits. Les marabouts xénophobes de la tribu des Kel es Souk (Adrar des Ifoghas) ont réussi à soulever les Oulliminden de la boucle du Niger. L'aménoukal de cette importante tribu, Firhoun, arrêté en 1915, parvint à s'évader de la prison de Gao le 14 février 1916. Aussitôt il entre en campagne contre nous en assiégeant Menaka avec mille cinq cents hommes (mars).. Les Touareg algériens sont encore fidèles mais sourdement travaillés par les agitateurs. Le capitaine de La Roche, commandant le groupe de police du Hoggar (compagnie du Tidikelt), chargé de les surveiller, passe le printemps 1916 au milieu des campements Hoggar, Taitoq et Ifoghas dans l'Adrar. Appelé à secourir le poste de Menaka attaqué par Firhoun, il part de Kidal le 2 avril avec son groupe et un renfort de goumiers fourni par Moussa. Lorsqu'il arrive à Menaka le 9, le poste s'est dégagé par ses propres moyens mais le capitaine est invité à se joindre à la colonne que les Toupes soudanaises ont mise sur pied et qui va poursuivre les Oulliminden. Ceux-ci, avec leurs familles et leurs troupeaux (2) se sont regroupés à quatre-vingt-dix kilomètres au sud de Menaka, à la mare d'Adéramboukane, bordée d'une véritable forêt, touffue et inextricable. Le 25 avril, le goum de Moussa quitte Menaka en éclaireur du groupe de La Roche et bientôt il se heurte à un parti de Touareg révoltés qu'il défait. Le 7 mai, tous les éléments français sont à pied d'œuvre; les Oulliminden sont sérieusement retranchés. Mais le 9, surpris par deux attaques inopinées et convergentes, les Touareg désorientés par la panique des troupeaux, des femmes et des enfants, fuient en toute hâte après une courte résistance. Ils laissaient sur le terrain une centaine de cadavres, leurs familles et leurs troupeaux. L'aménoukal Firhoun qui avait réussi à s'échapper fut tué peu de temps après (25 juin 1916).
(2) Evalué plus tard à cinq mille chameaux et trente mille moutons.
66
Après l'Adrar et le Niger, la révolte
senoussiste gagne le Hoggar. Les agents de Seyed El
Abed ne masquent plus leur jeu. Ils annoncent même l'attaque
prochaine de Fort-Motylinski défendu par la faible garnison de l'adjudant
Vella. Et, de fait, en automne, la présence à Tin Tarabine de la
harka de Khaoucen (1) est signalée.
« Tribus Hoggar et Senoussistes, au contact
au Hoggar semblent attendre soit l'arrivée du Soudan de l'aménoukal Moussa
ag Amastane soit un avis d'accord de ce dernier pour l'attaque en
commun de Fort-Motylinski. N'obtenant pas le ralliement escompté du chef
des Hoggar, Khaoucen décide de joindre ce
dernier au Soudan» (2). Mais lorsqu'il quitte le Hoggar, le « joug
fanatique» de la Senoussia ne libère pas pour autant les tribus serves
demeurées dans la Koudia; sous la domination religieuse des agents de Seyed El Abed, les imrad ne sont plus maîtres de
leurs actes et les Dag Rali laissent accomplir chez eux le
meurtre du Père de Foucauld respecté et vénéré dans tous le pays
(1er décembre 1916). Aussitôt par crainte des représailles, les tribus se
réfugient dans la montagne; c'est la dissidence ouverte. Une bande d'une
soixantaine de rebelles signalée à l'est de Tamanrasset est prise en
chasse par le maréchal-des-logis Rémiot du
Tidikelt. Avec vingt méharistes, il l'attaque par surprise le 17 décembre
1916 près de Tin Tarabine. Il lui inflige des pertes sérieuses (douze
tués) et ne se replie que sous la menace d'un encerclement complet.
(1) Aghali ben Mohamed,
plus connu sous le nom de Khaoucen, était
originaire de la tribu des Ikaskazen, de la confédération des Touareg
Kel Oui. Cet homme actif et intelligent s'était acquis une véritable
renommée (méritée d'ailleurs) par son courage et son audace. Moussa ne
put jamais cacher son mépris pour ce demi-nègre.
(2) Ch. Vella - Les causes réelles de l'assassinat àu Père de
Foucauld (Cahiers Ch. de Foucauld, Paris et Grenoble,
5°'série, vol. 31, 3°trim. 1952).
Le groupe de police du Hoggar (3) (sous-lieutenant
Constant) renforcé d'un détachement du Touat (sous-lieutenant
Béjot) est à l'effectif de quatre sous-officiers dont deux
français et de soixante-dix méharistes. Il est chargé de protéger le
Hoggar au nord et à l'est, de détruire les bandes rebelles qui infestent
le massif et de razzier les campements dissidents. Au début de février
1917, il patrouille dans les environs du Mont Serkout et de l'Oued Tin
Tarabine (région où la colonne Flatters a été massacrée). Après avoir du
abandonner dix-sept méhara fourbus, il se dirige vers Temassint avec une
cinquantaine de méharistes et se lance sur les traces d'Ait Lohen
dissidents. Le 17 février à Tahabert, il razzie deux tentes et le même
jour tombe sur un autre campement (4) où il trouve des effets et des
objets ayant appartenu au Père de Foucauld.
Il emmène femmes, enfants et troupeaux. Trompé par une des femmes, il
tombe peu après dans un guet-apens. Des fellaga se sont retranchés sur
trois excellentes positions qui dominent un col. Une adroite manœuvre
exécutée par les maréchaux-des-logis Guillat
et Giros réussit à inquiéter les dissidents
qui, attaqués à la grenade par le brigadier Poublan,
s'enfuient dans la montagne abandonnant cinq morts et huit méhara. Le
détachement Constant avait perdu trois tués
(maréchal-des-logis Guillat et deux sahariens), quatre blessés et quelques
méhara.
Le groupe de police rentre à Fort-Motylinski
le 1er mars après avoir été encore attaqué deux fois par des Touareg qui
tenaient la montagne(5).
Pendant le même mois de février 1917, une
bande rebelle venait enlever les méhara du poste de Fort-Motylinski qui
furent repris après une belle poursuite de l'adjudant
Vella.
(3) Le groupe de police Constant
avait dû être rappelé de l'Adrar vers le Hoggar au moment où la
harka de Khaoucen menaçait Fort-Motylinski
(septembre 1916). Il couvrit à cette occasion six cents kilomètres en
sept jours.
(4) Trois hommes du campement se sont réfugiés dans la
montagne d'où ils mitraillent la patrouille lancée à leur poursuite.
Deux sont tués, l'autre disparaît dans le chaos du djebel mais le sous-lieutenant Béjot a été blessé au flanc
droit et le maréchal-des-logis Ben Arous à
la jambe gauche.
(5) Douze croix de guerre vinrent récompenser les
officiers, sous-officiers et sahariens qui s'étaient distingués pendant
ce mois d'opérations.
--67 --
En quittant le Hoggar, Khaoucen s'est dirigé vers l'Aïr où il a trouvé « des partisans nombreux et des complicités agissantes notamment auprès du sultan d'Agadès, Abderrahim Tegama » (1). (1) Ch. Vella - lac. cit.
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La Koudia du Hoggar vue de l'Adrar Haggerene {Koudia = région montagneuse du Hoggar |
En décembre 1916, avec plusieurs centaines d'hommes, il investit le poste d'Agadès défendu par les quatre-vingt-dix combattants du capitaine Sabathié. Pendant trois mois, la garnison résiste des attaques puis à un siège en règle.
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Moussa ag Amastane,lui, est dans l'Adrar au milieu de ses campements sourdement travaillés. Insensiblement, les Touareg se laissent gagner à la propagande des agitateurs qui ont beau jeu de présenter notre évacuation du Tassili et le retrait du groupe de police Constant de l'Adrar (1) comme le prélude de notre abandon du Sahara tout entier. Là-dessus arrive la nouvelle de l'assassinat du Père de Foucauld: elle jette la: consternation dans les campements. Nobles et serfs apeurés parlent de rejoindre Khaoucen qui assiège Agadès. Moussa, toujours fidèle résiste tant qu'il peut et fait appel au capitaine Depommier, commandant le secteur du Hoggar, en lui disant qu'il ne peut plus répondre de ses tribus. Pour aggraver le désaccord entre l'aménoukal et les siens, Khaoucen fait razzier un convoi de ravitaillement de Moussa. Celui-ci est obligé de céder aux instances de ses nobles qui veulent à tout prix obtenir restitution des animaux et des approvisionnements saisis. A sa grande honte, Moussa est entraîné à l'entrevue préparée sous les murs d'Agadès et retenu prisonnier des dissidents aux exhortations de qui il reste sourd. Son cachet officiel est utilisé pour authentifier des appels à la révolte dans les fractions encore hésitantes. Gardé à vue, il tente de s'évader. Repris, il subit à Agadès chez le Sultan Tegama, une rigoureuse détention.
(1) Voir note (3) de la page 66.
La nouvelle de la dissidence de l'Aïr et du siège d'Agadès, l'ignorance où l'on est de Moussa et des Hoggar font décider l'envoi d'une colonne vers l'Aïr. Le 2 février, le capitaine Depommier se met en route avec le groupe mobile du lieutenant Lehuraux (Tidikelt) et le peloton Lemaire (Touat). Pour défendre la Koudia, le chef du secteur Hoggar a laissé le capitaine Masson commandant de la compagnie du Touat avec deux cent cinquante méharistes.
A la fin de février, le capitaine Depommier passe à Tin Zaouaten où des nomades lui annoncent que Moussa ag Amastane a pactisé avec Khaoucen et se trouve à Agadès. Le capitaine décide de continuer vers Agadès pour prêter main forte aux colonnes de secours (colonel Mourin et commandant Berger) mises sur pied par les coloniaux. Le 12 mars, à In Abangarit, après un combat qui leur coûte deux tués et cinq blessés, les dissidents doivent abandonner aux Chaamba du Tidikelt un troupeau de six cents chamelles.
Trois jours plus tard, nouvel accrochage à
Taket n Koutat: les dissidents perdent un tué et deux prisonniers.
Le 23 mars, enfin, la
colonne Depommier rencontre Moussa ag
Amastane dans l'Oued Tanefsert. L'aménoukal donne aussitôt des
explications sur son attitude qui, de loin, avait paru douteuse: resté
fidèle, il n'a cédé qu'à la contrainte; profitant du trouble causé à
Agadès par l'arrivée de la colonne Mourin (3
mars 1917), il s'est évadé: aussitôt libre, il a rassemblé ses partisans,
s'est lancé à la poursuite de Khaoucen(son
ennemi juré qui vient de l'humilier si gravement en le retenant
prisonnier) et lui a infligé de lourdes pertes alors qu'il fuyait vers le
Fezzan. Après s'être vengé, Moussa a
rejoint ses campements. C'est là que le capitaine
Depommier l'a trouvé.
Toute la tribu, familles et troupeaux,
encadrée par les méharistes et les Touareg nobles, se met alors en route
vers le nord par Touaret et ln Abégi. Le Hoggar, où la caravane arrive en
avril 1917, est en effervescence: le 5 avril, le capitaine
Masson vient de livrer un rude combat à des fractions rebelles.
(2)
(2) Combat de l'oued Ilaman, cf. p, 69. {soit la page suivante)
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