On s'accorde pour situer
la première harka en 1954 dans les Aurès, créée
à l'instigation de Jean Servier. Dès 1956, le Bachaga
Boualam recevait l'autorisation de lever une harka de trois cents hommes.
Le Capitaine Hentic devint l'organisateur et le conseiller de l'embryon
qui au fil des ans donna naissance aux différentes harka du Bachaga. Le Capitaine Hentic fut muté en Petite Kabylie, le Bachaga
tint à ce que son ami soit accompagné de quelques-uns
de ses harkis de l'Ouarsenis. Une première harka fut créée
dans la région de Sétif. A la dissolution du 14èmeRCP,
le lieutenant Louis fut affecté à Sétif où
il se lia d'amitié avec Hentic. La création d'une seconde
harka fut décidée. Mi-septembre 1961, Louis se rendit
dans l'Ouarsenis recruter une soixantaine de harkis désignés
un par un par le Bachaga lui-même.
Début octobre, deux
jeunes sergents de vingt ans, fiers de leurs galons tout neufs débarquaient
sur les Hauts Plateaux Sétifiens. Roger et moi allions vivre
intensément les derniers feux de la guerre d'Algérie dans
les rangs d'une harka du Bachaga Boualam. Cette expérience devait
nous marquer à vie. Encore maintenant plus de 40 ans après,
je me demande pourquoi ces braves Beni Boudouane étaient aussi
dévoués, aussi fidèles, alors qu'ils savaient que
tout était perdu! Je considère comme un devoir de témoigner,
à mon humble niveau de petit sergent, de ce que fut la manière
de servir de mes harkis.
Dès le premier soir,
embuscade de nuit et la journée suivante crapahut. Le rythme
était donné, imprimé par Louis, l'ancien parachutiste,
notre lieutenant ; il fut maintenu jusqu'au cessez-le-feu. Je remarquais
tout de suite que Bou Saïd. l'un de mes chefs d'équipe,
m'avait pris en charge et faisait tout pour m'aider, toutefois sans
jamais interférer dans mon commandement. Je sus par la suite
qu'il était sergent chef dans une précédente harka...
J'avais conscience d'être observé, jaugé par mes
harkis. J'abordais en tête les points suspects, entrais le premier
dans les mechtas, nuit et jour, ils me suivaient, exécutaient
mes ordres mais ne prenaient pas d'initiative, ne communiquaient pas
beaucoup. Au bout d'environ trois semaines de ce régime, alors
que nous crapahutions en terrain très accidenté pour fouiller
différents groupes de mechtas, les harkis accéléraient
sans raison le rythme de la progression. Ils me surveillaient du coin
de l'œil et ne cessaient d'accélérer tout en plaisantant
entre eux.
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Conscient qu'il devait y avoir un enjeu, je maintenais ma place dans
le groupe. Parvenus à un replat aux abords des mechtas, ils me
regardaient en riant: "Bon capable, Sardjane ! Bon capable !".
Puis quand je me préparais à entrer dans une mechta après
avoir donné mes ordres: "C'est pas à toi de rentrer
le premier" me disait Ousman, le deuxième che:f d'équipe
en donnant leur mission à ses harkis. J'ai compris qu'ils venaient
de m'adopter : après trois semaines d'observation, j'étais
admis dans cette fraction reconstituée des Beni Boudouane qu'était
la harka. Le soir, Bou Saïd désignait son jeune cousin pour
me servir de planton. Il s'occupait de mon maigre paquetage, me portait
le café et m'interdisait de m'encombrer sur le terrain d'autre
chose que de mon arme. Quand, assis en tailleur avec ceux de mon groupe,
nous buvions le café ou écoutions le vieux Kali jouer de
la flûte, ils me disaient: "Sardjane, viens chez nous au
Douar Beni Boudouane. c'est pareil comme la petite France".
Venu nous rendre visite, un fils du Bachaga, dans son allocution aux harkis,
leur dit notamment : "Pour nous, il n'y a qu'une manière
d'aller au Paradis, c'est de mourir pour la France".
Lors d'une importante opération
dans un secteur montagneux, nous nous sommes infiltrés toute la
nuit en suivant une petite piste. Avant le lever du jour, nous étions
sur notre zone d'interception. Mes harkis postés, j'étais
allongé sur le dos à récupérer des fatigues
de la nuit en contemplant les brumes de l'aube monter sur les sommets.
Brutalement, les nuages se déchirèrent, les pitons autour
du nôtre se dévoilèrent. Une rafale de FM le long
de mon corps à moins d' un mètre me sortit de ma torpeur.
Dans ma demi-conscience. je notais que le tir était précis
et qu'il allait falloir que je me bouge. Une deuxième rafale au
même endroit acheva de raviver mes esprits quand j'entendis: "Sardjane,
dépêche-toi". Je vis mon Caporal Hamzi debout,
Thompson à la hanche, entre la direction d'où venaient les
rafales et moi. Ayant abandonné son poste, il tentait de faire
écran pour me protéger! Ce n'était pas de la frime,
à tout moment, le tireur FM pouvait déporter son tir de
quelques centimètres et le tuer!
Le 1 er mars 1962, nous attaquions
un Commando zonal qui se repliait devant nous, refusant le combat. Pendant
la course poursuite, je distançais tout le monde et me retrouvais
sous les rafales en position fâcheuse, à l' entrée
d'un village .
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