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...ceci est un " Témoignage du Passant-Bleu "

J'ETAIS SERGENT A LA HARKA 903 A AÎNE ABESSA
 
par G.de BADTS

       On s'accorde pour situer la première harka en 1954 dans les Aurès, créée à l'instigation de Jean Servier. Dès 1956, le Bachaga Boualam recevait l'autorisation de lever une harka de trois cents hommes. Le Capitaine Hentic devint l'organisateur et le conseiller de l'embryon qui au fil des ans donna naissance aux différentes harka du Bachaga. Le Capitaine Hentic fut muté en Petite Kabylie, le Bachaga tint à ce que son ami soit accompagné de quelques-uns de ses harkis de l'Ouarsenis. Une première harka fut créée dans la région de Sétif. A la dissolution du 14èmeRCP, le lieutenant Louis fut affecté à Sétif où il se lia d'amitié avec Hentic. La création d'une seconde harka fut décidée. Mi-septembre 1961, Louis se rendit dans l'Ouarsenis recruter une soixantaine de harkis désignés un par un par le Bachaga lui-même.
       Début octobre, deux jeunes sergents de vingt ans, fiers de leurs galons tout neufs débarquaient sur les Hauts Plateaux Sétifiens. Roger et moi allions vivre intensément les derniers feux de la guerre d'Algérie dans les rangs d'une harka du Bachaga Boualam. Cette expérience devait nous marquer à vie. Encore maintenant plus de 40 ans après, je me demande pourquoi ces braves Beni Boudouane étaient aussi dévoués, aussi fidèles, alors qu'ils savaient que tout était perdu! Je considère comme un devoir de témoigner, à mon humble niveau de petit sergent, de ce que fut la manière de servir de mes harkis.
       Dès le premier soir, embuscade de nuit et la journée suivante crapahut. Le rythme était donné, imprimé par Louis, l'ancien parachutiste, notre lieutenant ; il fut maintenu jusqu'au cessez-le-feu. Je remarquais tout de suite que Bou Saïd. l'un de mes chefs d'équipe, m'avait pris en charge et faisait tout pour m'aider, toutefois sans jamais interférer dans mon commandement. Je sus par la suite qu'il était sergent chef dans une précédente harka... J'avais conscience d'être observé, jaugé par mes harkis. J'abordais en tête les points suspects, entrais le premier dans les mechtas, nuit et jour, ils me suivaient, exécutaient mes ordres mais ne prenaient pas d'initiative, ne communiquaient pas beaucoup. Au bout d'environ trois semaines de ce régime, alors que nous crapahutions en terrain très accidenté pour fouiller différents groupes de mechtas, les harkis accéléraient sans raison le rythme de la progression. Ils me surveillaient du coin de l'œil et ne cessaient d'accélérer tout en plaisantant entre eux.

Conscient qu'il devait y avoir un enjeu, je maintenais ma place dans le groupe. Parvenus à un replat aux abords des mechtas, ils me regardaient en riant: "Bon capable, Sardjane ! Bon capable !". Puis quand je me préparais à entrer dans une mechta après avoir donné mes ordres: "C'est pas à toi de rentrer le premier" me disait Ousman, le deuxième che:f d'équipe en donnant leur mission à ses harkis. J'ai compris qu'ils venaient de m'adopter : après trois semaines d'observation, j'étais admis dans cette fraction reconstituée des Beni Boudouane qu'était la harka. Le soir, Bou Saïd désignait son jeune cousin pour me servir de planton. Il s'occupait de mon maigre paquetage, me portait le café et m'interdisait de m'encombrer sur le terrain d'autre chose que de mon arme. Quand, assis en tailleur avec ceux de mon groupe, nous buvions le café ou écoutions le vieux Kali jouer de la flûte, ils me disaient: "Sardjane, viens chez nous au Douar Beni Boudouane. c'est pareil comme la petite France". Venu nous rendre visite, un fils du Bachaga, dans son allocution aux harkis, leur dit notamment : "Pour nous, il n'y a qu'une manière d'aller au Paradis, c'est de mourir pour la France".


       Lors d'une importante opération dans un secteur montagneux, nous nous sommes infiltrés toute la nuit en suivant une petite piste. Avant le lever du jour, nous étions sur notre zone d'interception. Mes harkis postés, j'étais allongé sur le dos à récupérer des fatigues de la nuit en contemplant les brumes de l'aube monter sur les sommets. Brutalement, les nuages se déchirèrent, les pitons autour du nôtre se dévoilèrent. Une rafale de FM le long de mon corps à moins d' un mètre me sortit de ma torpeur. Dans ma demi-conscience. je notais que le tir était précis et qu'il allait falloir que je me bouge. Une deuxième rafale au même endroit acheva de raviver mes esprits quand j'entendis: "Sardjane, dépêche-toi". Je vis mon Caporal Hamzi debout, Thompson à la hanche, entre la direction d'où venaient les rafales et moi. Ayant abandonné son poste, il tentait de faire écran pour me protéger! Ce n'était pas de la frime, à tout moment, le tireur FM pouvait déporter son tir de quelques centimètres et le tuer!


       Le 1 er mars 1962, nous attaquions un Commando zonal qui se repliait devant nous, refusant le combat. Pendant la course poursuite, je distançais tout le monde et me retrouvais sous les rafales en position fâcheuse, à l' entrée d'un village .

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      Je réfléchissais à la manière de m'en sortir quand Bou Saïd se postant contre moi: "Sardjane, je suis là ! ". A deux, nous avons attaqué une mechta où les fells étaient retranchés. Dans la foulée, je me retrouvais blessé, posté dans une petite pente à moitié sonné. Presque immédiatement, Bou Saïd s'écroulait à côté de moi: "Sardjane, j'y blissi!". Abandonnant le groupe qu'il commandait, il s'était porté à mon secours et m'avait suivi dans cette entreprise insensée. Pourquoi une telle fidélité'? A huit jours du cessez-le-feu. qu'est-ce qui pouvait motiver ces braves Beni Boudouane ? Ils aimaient la France ou l'idée qu'ils s'en faisaient. Ils obéissaient.à leur Bachaga dont l'attachement à sa patrie, la France, était connu de tous. Louis, notre lieutenant, Roger et moi, respections les populations, et notre comportement ascétique avait été observé par les harkis. Nous leur accordions une absolue confiance, ils nous ont adoptés et peut-être nous ont-ils suivis pour un peu toutes ces raisons.


      Quand on pense à la manière dont la France les a traités! Le déshonneur est bien le terme qui convient dans ce cas précis.

       Bous Saïd est sorti de l'hôpital avant moi.

       Ne plus sentir sa présence dans le lit voisin du mien me causa un profond désarroi. Je devais rester dans cet hôpital encore une huitaine de jours avant d'être rapatrié en avion sur la France. Tous les matins, au pied de mon lit, une fille de salle algérienne déposait une bouteille dc gazouze et un paquet d'oranges. Avant de partir, Bou Saïd qui savait que j'étais P.D.L. et n'avais pas d'argent, avait donné des consignes.


       Leur souvenir me hante, je devais témoigner de cette fidélité de nos braves harkis du Bachaga Boualam, et en particulier de Bou Saïd, le Beni Boudouane, celui qui "toujours marchait à droite". Il m'a protégé du premier au dernier jour de la trop brève existence de la harka. et je ne connaîtrai probablement jamais les raisons de ce dévouement. Le licenciement honteux de la harka privera Bou Saïd d'une citation largement méritée et sa blessure ne sera jamais homologuée. Non sans les avoir désarmés, nos harkis seront livrés au couteau des égorgeurs.


       La fille aînée de l'Église, le pays des Droits de l'Homme, a une singulière façon de manifester sa reconnaissance. Oui, décidément le déshonneur existe.

 
Mars 2005
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Suite : "Sur la Piste de Bou Saïd"