Au Lycée David d'Angers

1957-1959

15 ans le mois prochain... je viens d'arriver à Angers avec mes parents, mon frère, ma soeur.... Ah ! Si j'avais un marteau ! Je cognerais contre les murs ...
.....mais ce n'est pas encore l'époque des "yéyé" et de "Clo-Clo" mais plutôt celle de Bécaud, Brassens, et les débuts de Jacques Brel...

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Je viens de quitter mes copains scouts de la 15° Nice et dès la rentrée prochaine, je contacterai les locaux... Mais auparavant un petit séjour chez mes grands parents, en Bretagne, à Carnac-Plage en Juillet. En Août, la villa sera louée et nous serons donc contraints d'évacuer la villa Capucine, pour la première fois. Et après quelques jours à Auray, je découvre à Angers mon nouvel environnement, sous le soleil du mois d'Août 1957.

La villa niçoise de l'avenue Aimée Martin est déjà bien loin : ici nous serons logé en HLM, situé aux confins de la ville, chemin de Villesicard. Le premier d'une série de bâtiment vient d'être livré et mon père a pu obtenir l'attribution d'un appartement au 3ème étage du premier escalier. Nous devons être heureux de nous loger si vite mais l'espace est bien restreint par rapport à nos habitudes: le péristyle est remplacé par une " entrée" qui commande 2 portes : outre les "commodités" elle débouche sur une pièce qui semble assez vaste, avec ses deux appendices... Mais en fait, à gauche l'espace s'appelle cuisine, (eau sur évier et arrivée du gaz de ville), et à droite, près de la façade sud, il s'agit d'une alcôve qui tiendra lieu de chambre pour les garçons...l'espace principal au centre tiendra lieu de "salle de séjour"... pas de porte entre ces trois fonctions. Après avoir dépassé le coin cuisine une porte donne accès à ce qui en fait est la zone "nuit" : une minuscule salle de bains à "baignoire sabot", et deux chambres aspectant l'une sur la façade nord et l'autre sur la façade sud. Avec le recul, je désigne ce type d'appartement sous le terme de faux F4.

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J'apprendrai vite à m'adapter à ce nouveau cadre social: les voisins, tous angevins depuis plusieurs années sont heureux de s'être vu attribué un logement moderne, bien éclairé, sans vis à vis : cela les change du vieil habitat qu'il connaissait jusqu'alors. A l'Est et à l'Ouest, les grues témoignent de la poursuite des travaux sur deux autres immeubles qui s'annoncent comme de véritables barres aux nombreuses cages d'escalier... Ma famille a de la chance : notre immeuble ne compte que 2 cages d'escaliers de cinq niveaux... Celui des caves est semi enterré et les portes sont à claires-voies. Un grenier commun aux résidents de l’escalier, et qui ferme à clef, permet d’y étendre le linge sous le long toit d’ardoises.

Au dessus, une famille avec deux garçons plus jeunes, en dessous un couple avec une fillette.
En face, au rez-de-chaussée, une famille de cinq enfants dont des triplées de huit ans environ.
Au second, une famille avec deux garçons, dont l’un résidera chez ses grands parents parisiens pendant l’année scolaire… Les autres occupants ne m’ont pas laissés de souvenir.

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Avec les deux garçons du second , mon frère et moi apprenons à découvrir d’un tour de vélo les environs immédiats. Nous trouvons un terrain de tennis, en mauvais état certes, mais il nous permettra, avec l’accord de son propriétaire, de nous défouler un peu.
Les établissements scolaires sont bien loin, surtout le Lycée qui accueillera mon frère, de l’autre côté de la Maine : il s’y rendra à vélo, et sera demi-pensionnaire. Personnellement je rejoindrai le Lycée David d’Angers, en centre ville… mais cependant à 2,5 Kms … Je serai externe mais en Seconde ou Première ? Venant d’un établissement privé, je passerai un examen d’entrée début septembre…. Ce sera la Seconde… la seconde Seconde.

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J’y découvrirai un cadre de travail agréable, où les références laïques et républicaines viendront enrichir ma formation d’adolescent. Les professeurs sont de « vrais » professeurs, pédagogues passionnés par leur discipline et leur soucis de nous faire acquérir les connaissances du programme officiel, mais aussi de nous faire réfléchir à partir des sujets abordés, sur la société ou sur le monde du travail qui nous accueilleront bientôt.
Venant de Nice, j’ai comme seconde langue vivante, l’Italien. Le professeur féminin qui assure les cours aussi bien au lycée de filles qu’à David, saura me donner le goût de la civilisation italienne et de sa littérature ; le petit nombre d’élèves (cinq ou six) facilitant le suivi.

      En Anglais première langue, je n’aurai pas comme professeur l’auteur du manuel que nous allons utiliser (il exerce cependant au lycée), mais un bonhomme qui me laissa le profond regret de ne pas m’être plus investi plus tôt dans la langue de Shakespeare : le « retard » était important et je ne pourrai que progresser ! Abonné à des séjours d’été au Canada, il nous vantait la vie à Montréal qui mélange l'Américan way of life et la culture francophone.
      En Français, aidé par les ouvrages de « Lagarde et Michard » je découvre les joies de l’étude des textes classiques. Mais je resterai cependant « un des anonymes du marais » où se complaisent les élèves moyens à qui l’on porte l’appréciation « Peut mieux faire ».
      En Mathématiques, j’ai conservé le souvenir de cours « agités » où les pantins de papier mâché se retrouvaient pendus au plafond tandis que Mr H. , notre professeur fort sympathique remplissait le tableau vert de lignes d’équations à plusieurs inconnues…
      Mais le Grand Bazard , c’était en Sciences … Aussi bien en Physique que Chimie, et surtout lors des Travaux pratiques au labo de Chimie, au-dessus du porche d’entrée des élèves : les nuages de chlore s’échappant des fenêtres créèrent de bons moments…
      Le Professeur de Géographie sut de suite capter notre attention. Par ailleurs, il nous amena chaque année à visiter une entreprise commerciale et industrielle : la distillerie Cointreau, en Seconde, et l’usine Renault du Mans, en fin de Première. J’ai conservé le souvenir de cet immense hall de fabrication des boites de vitesse de la Dauphine, où les machines outils perçaient les blocs de fonte qui se déplaçaient sur des pistes à rouleaux. L’huile de refroidissement coulaient en permanence sur les forets, le vacarme était fort, et le rythme de travail celui des « trois huit »…
      En revanche, je n’ai conservé aucun souvenir des cours d’Histoire ! Sans doute le professeur que j’aurai quelques années plus tard et qui, lui, me donnera le goût de cette discipline a-t-il occulté le reste du paysage.


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Relativement vite, je me fais de nouveaux copains. Deux d’entre eux sont scouts et je participerai à quelques rares activités ; mais la fibre n’y est pas et je décrocherai assez vite du cadre scout angevin, tout en conservant mes liens de camaraderie avec eux.
Je n’ai pas d’à priori, et je fréquente aussi bien l’un que l’autre parmi les autres élèves de ma classe. Peu à peu cependant, j’ai fais mes choix .En fin de seconde, courant Juin, alors que les élèves de Première sont confrontés à l’écrit du Bac, c’est avec deux copains que je quitte le lycée le lundi après les cours, pour me rendre au bord de l’Océan, à Pornic ! Moyen de locomotion : 1 vélo, 2 Vélos-Solex ; comme hébergement : une tente canadienne. Elle sera montée de nuit, vers une heure du matin, en contre-bas de la route de Nantes à Pornic, à hauteur de la Cité Radieuse du Corbusier, à Rezé. Nous pourrons reprendre la route avant que la maréchaussée ne s’inquiète de nous…
A Pornic, la météo est médiocre et je n’ai pas conservé le souvenir d’un grand bain…
Le retour se fera par beau-temps, sur les deux autres jours car dès le vendredi, nous reprenons le chemin du lycée, Jacques J., Jean-Claude C., et moi-même.
S'ils se reconnaissent en lisant ces lignes, qu'ils n'hésitent pas à contacter limafoxromeo

Que sont-ils devenus ces deux garçons ? J. logeait dans un immeuble moderne près de la gare , son père étant à la SNCF; C.était fils unique d'une famille d'enseignants. Tous les trois étions issus de milieux familiaux avec leurs cultures et attirances philosophiques diversifiées; mais tous trois rêvions de conquérir le monde des adultes...

En Première, chez Michel H. le copain Scout , je me rendais parfois avec un autre garçon qui grattait de la guitare, mieux que moi, et qui s'essayait bien sûr à imiter Brassens... J'ai effectivement utilisé à l'époque la méthode Beuscher pour déchiffrer les partitions de "la Petite Fleur".... Ma mère a montré beaucoup de patience en supportant les gammes du grand guitariste que j'étais...
C’est avec ce petit groupe que j’ai découvert Fernand LEDOUX dans TARTUFFE, au Théâtre Municipal, ainsi qu’un concert de NEGRO-SPIRITUALS…. Les premiers cafés au sous-sol des Nouvelles Galeries de la place du Ralliement (ils y étaient à 20 francs… le franc « lourd » arrivera bien après mon départ d’Angers.) Puis avec un autre élève, le premier « flipper »… bien trop coûteux pour mon argent de poche et je ne donne pas suite. En revanche, je découvre au café « DUPONT » , au dessus de la place du Ralliement, sur le Boulevard, un personnage qui nous livre le spectacle de « la Mouche »… il passait un certain temps à une table, faisant durer sa consommation, puis, après avoir enfilé des manchons gris, coiffé une toque aussi grise, il déployait sa longue silhouette élancée et maigrichonne avant de se rendre au fond de la salle, et d'annoncer alors à la cantonade " La Mouche ! ".... et il se lançait alors vers la sortie en battant l'air de ses bras comme s'il voulait voler, en laissant échapper de ses lèvres un "Bbbbzzzzzz....." qu'il voulait évocateur. Après quelques aller retour, il quémandait une obole... je crois qu'il se nommait : "Buick, .... je suis la Mouche" !

 

En Octobre 1957, alors que je rangeais mon vélo dans le garage commun, le garçon voisin du second m'interpella en me disant que les Russes avaient lancé un satellite artificiel, et qu'on pouvait l'entendre à la radio ! Après lui avoir rétorqué que c'étaient les Américains qui avaient annoncé leur intention de lancer prochainement un "Pamplemousse", (je l'avais lu dans Spirou!), il réitéra son affirmation : ce sont les Russes qui l'ont lancé et il s'appelle Spoutnik!

Au cours du printemps 1958, je dus rester alité un peu plus d'une semaine et avec l'accord de mes parents, installai près de mon lit une petite radio ( à lampe) . C'est ainsi que début Mai, écoutant Europe1, je suivis les évènements qui se passèrent à Alger, après l'exécution de 3 soldats français du contingent, détenus par le FLN, à SAKIET SIDI YOUCEF, de l'autre côté de la frontière tunisienne... Ces évènements ont été narrés par deux journalistes du France-Soir de l'époque et publiés sous le titre "Les 13 Complots du 13 Mai".... Celui qui réussit fût celui des gaullistes... Mais cela est une autre histoire que celle du lycéen que j'étais...

Ces évènements de Mai 1958 mirent en avant ce qui se passait en Algérie: la fin de la bataille d'Alger et l'éradication du terrorisme urbain redonna espoir à la population algéroise. Ce terrorisme urbain vaincu par les par les appelés de la Division Parachutistes du général Massu mettra en avant les héros Français, dans la ligne de ceux de la Libération. Repris par les média de l'époque, y compris dans les journaux pour adolescent comme "Pilote" avec ses diaporamas sur l'Armée Française... Au lycée, les élèves plus âgés qui suivent la Préparation Militaire Parachutiste sont connus: je me souviens en avoir vu en tenue léopard, à l'occasion d'une grande messe célébrée à la Cathédrale, un dimance matin. Jean-Claude C., le fils d'institueur me parle d'un livre témoignage interdit à la vente et qui circule sous le manteau: " La Question" qui parle de la torture qu'infligerait les paras aux suspects arrêtés en Algérie... Jean-Paul Sch., que je croiserai quelques années plus tard à l'école de cavalerie de Saumur lors de son satge d'Officier de Réserve, soulignera que l'auteur de ce livre est un membre du même parti communiste qui justifie l'intervention soviétique en Hongrie et la bataille de Budapest, deux ans plus tôt, fin 1956. ... L'année suivante je lirai avec avidité le Best-Seller de l'époque: Les Centurions de Jean Lartéguy...

Je ne savais pas encore que je porterais de longues années le Bérêt amarante des parachutistes, avec les barettes d'officier sur la veste de combat... Mais peut-être que la graine qui permet ce que certains appelent "vocation" était en cours de germination.

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