Remis sur pied et
de plus en plus « volontaire », il est réaffecté au 6° B.C.A. et arrive en Grande Kabylie en 1956. Il va alors entamer une série de faits
d'armes exceptionnels.
Il manifestait, au combat, l'intelligence spontanée des situations ;
d'un courage au-delà du courage, il y apportait avec sang-froid des
solutions d'une audace extrême, assumant personnellement l'essentiel
des risques. Il devint alors une véritable figure:
chef de section vénéré, subordonné contributif au plus haut degré,
camarade attachant, il cachait mal une véritable générosité et son
infinie pudeur le poussait parfois au cynisme apparent et à des
jugements sans compromission.
Il avait le geste élégant, l'attitude réservée, séduisant sans le
rechercher, mais il demeurait toujours quelque peu énigmatique.
Profondémént attaché à la 3e
Cie du 6e BCA
avec laquelle il avait vécu drames et aventures.
Cette compagnie, après 2 années d'une quasi-invulnérabilité devait dans
les 3 premiers mois de 1958 subir au cours de 5 accrochages différents,
des pertes douloureuses : 3 morts dont 1 chef de section, 6 blessés
graves dont 2 chefs de section, 4 blessés légers dont 2 chefs de
section.
La fin de journée du 25 février 1958 devait être particulièrement
dramatique...
Une page de souvenirs...
par celui qui était en 1958,
le Sous-Lieutenant Jean Pfauvadel
:
Le 25
février 1958, à 16 h 00 ,
la 3e Cie du 6°BCA arrivait à la cote 1918, au sud du col de Tirourda.
La
forêt des Aït Ouabane s'arrêtait à quelques centaines de mètres du
sommet ; la Cie marchait depuis la veille 22 h 00, et avait effectué
2000m. de dénivelé. Nous avions accompli la dernière heure de marche à
très vive allure pour tenter d'arriver à la crête avant l'adversaire.
Embusqué dans les souches des cèdres, en lisière de la forêt, le soleil
couchant dans le dos, face à la 1ére section qui descendait alors une
pente enneigée de très forte inclinaison, un rebelle, excellent tireur
a, comme au stand de tir :
- -blessé
le sergent-chef Marcel Arpin(
artère fémorale sectionnée), et
plus tard logé une balle dans l'appareil photo de la poche de
poitrine gauche de son treillis.
- -foudroyé
le Sous-Lieutenantt
Dominique
Delapierre d'une balle en
plein cœur alors qu'il sélançait vers Arpin. Il tomba en criant « Je
suis mort ».
Depuis une dizaine de jours, Delapierre me remplaçait au commandement
de la 1ère section. À quelques jours de « la Quille », j'avais été
désigné, pour cette opération, comme adjoint au Commandant de Cie.
J'avais, à ce titre, la responsabilité de l'arrière garde de la colonne.
À mon arrivée sur la crête, je fus frappé par l'abattement des hommes.
La fatigue marquait tous les
visages et j'ai croisé des larmes dans bien des regards...
« Dominique est mort, Arpin se vide de son sang entre 2 cailloux ».
Ce furent les seules informations que je reçus.
J'ai parcouru nos positions, pour tenter d'appréhender,au mieux, la
situation.
Je me suis installé au dessus d'Arpin pour rechercher une solution
réfléchie. Je bus et mangeai rapidement : ce fut, je le crois, une
façon d'éviter la précipitation.
J'ai demandé aux chasseurs en position au dessus de Marcel Arpin, de
constituer une chaîne de ceinturons, grâce à laquelle j'ai pu parvenir
auprès de lui*, par un goulet raide et glacé ; je le réconfortais,
améliorais les pansements et garrot de fortune qu'il s'était lui-même
posés.
Alors qu'Arpin me désignait l'emplacement du tireur, une balle
ricochait sur le rebord de nos casques, me criblant le visage
d'éclats**.
Ce fut le signal de la reptation de retour, toujours sous le feu***.
J'entends Marcel plaisantant avec ses hommes, pendant que nous le
hissions, accroché aux ceinturons ; (Il est effectivement difficile de
conserver un pantalon de treillis sans ceinture durant une telle
opération...).
Le sauvetage final fut accompli grâce au sang froid de l'équipage de
l'hélicoptère qui nous évacua tous les deux. Lors d'un premier passage,
le chef de bord avait renoncé à se poser et ne revint qu'après avoir
été informé de la gravité de la blessure et des conséquences
prévisibles de sa sagesse initiale.
L'alouette s'est posée sur une arête très étroite, entre 2 gros talus,
le rotor de queue à 70 cm de l'obstacle arrière.
Je me dois d'ajouter qu'après décollage l'impact d'une balle sur le
Plexiglas m'a effrayé. J'ai tremblé et claqué des dents.
La tombée de la nuit et le mauvais temps empêchèrent d'effectuer une
2ème rotation.
J'appris par la suite, que dans la longue descente vers Bouira, sous la
neige, un chasseur venant d'effectuer un relais de portage de la
civière sur laquelle reposait le S/Lt Delapierre interpella une ombre à
ses côtés : »Toi qui porte rien, prends donc ce flingue( il avait, en
plus du sien, le fusil de l'un des porteurs...) »
« Bien sûr, mon petit gars, donnes-le moi ...»
L'ombre était le Lt-colonel Flottard de la 4ème demi brigade de
Fort-National, venu accompagner la compagnie dans cette opération très
montagnarde. |
Complément
au témoignage de Jean Pfauvadel :
* Les témoins se souviennent que le
Sous-Lieutenant Pfauvadel
avait posé sa carabine en disant : « Je vais chercher Marcel ».
** Une balle causa au S-lt Pfauvadel une estafilade
à la joue.
*** L'Adjudant Grandpierre dut se faire encorder
pour tenter un tir de couverture, le long d'un éperon rocheux.
Les
sous-lieutenants Delapierre et Pfauvadel accomplissaient leur service
militaire dans le cadre du contingent, de même que celui qui a
rassemblé les éléments de cette évocation.
Les Anciens de la 30°
Promotion d'ESOA de St-Maixent honoreront la mémoire de Marcel Arpin, les 22 et 23 octobre 2002, à Chamonix.****
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