LA PLAINE CHAMPENOISE.
La monotonie de cette plaine est connue. Le sol, presque uniquement
composé de craie sur une grande épaisseur, apparaît
uniforme dans son relief, dans les cultures qui le recouvrent, dans
la vie qui s'y développe.
Le pays est sec, son aridité est presque proverbiale, la craie
est essentiellement fissurée et spongieuse. Les eaux ne séjournent
pas à la surface, elles s'infiltrent partout. On ne trouve
presque nulle part des dépôts superficiels plus argileux,
on ne voit nulle trace d'argile à silex ou de limon.
Le relief se présente soit sous forme de-grandes étendues
plates, à peine marquées par une faible dénivellation,
presque un sillon, soit par de grandes croupes aux pentes douces ,
entre deux vallées parallèles. Aucun point dominant
ne permet d'avoir une vue d'ensemble du pays, aucun relief sérieux
ne vient procurer un observatoire. Il faut monter sur le Mont Aimé
ou sur le Mont Août, grimper sur la côte pour voir la
campagne.
Il y a peu de cours d'eau au milieu de cette plaine à peine
ondulée, il n'y a aucune grande rivière. La Somme, la
Vaure et la Maurienne sont des ruisseaux coulant dans des vallées
tourbeuses par place, aux rives bordées de saules ou de peupliers.
Elles ont un régime très régulier. Les versants
des vallées sont à pente douce, sauf pour la Somme,
qui est plus encaissée en aval d'Ecury, où l'ancien
cours supérieur du Petit-Morin fut capté par la Soude.
Leur direction générale est est-ouest. Cependant la
Somme, en aval de sa capture, se dirige vers le nord-est, tandis que,
vers Fère-Champenoise, la Vaure fait un coude et se dirige
vers le sud-ouest. Le mouvement de terrain qui se trouve entre la
Somme et la Vaure marque la ligne de partage des eaux entre les affluents
de la Seine et ceux de la Marne, mais il n'est pas plus haut que la
plaine environnante.
Toute la vie est concentrée le long des cours d'eau. C'est
là que s'allongent les villages dont les maisons sont en file
sur la rue. Les maisons sont rapprochées, mais non contiguës;
elles sont généralement construites en briques; le torchis
a disparu depuis quelques années. Les villages étant
dans les vallées, même leurs clochers ne peuvent servir
d'observatoire, c'est à peine s'ils dépassent le niveau
des ondulations voisines. Dans la région qui nous intéresse,
un seul village est en dehors des vallées, c'est Pierre-Morains.
Montépreux et uvy, s'ils ne sont pas sur une rivière,
sont à une source au fond d'une vallée, parfois sèche.
Dans les vallées, nous trouvons des prairies généralement
étroites, mais au sol ferme. Sur le plateau, dans les parties
les plus fertiles et à proximité des villages, des champs
dont les récoltes ne sont guère riches. Là où
la terre est plus pauvre, s'étendent des bois de pins ou des
landes, maigres pâturages sur lesquels se promènent des
troupeaux de moutons. Ces bois et ces landes sont enchevêtrés.
Ils s'étendent sur des hectares de superficie, formant ainsi
une zone sans grands champs de tir, où l'infanterie de la défense
peut toujours craindre une infiltration et ne peut guère faire
un bon usage de ses armes, tandis que son artillerie est trop souvent
réduite à tirer en aveugle sur des buts qu'elle ne voit
pas.
Ainsi, le terrain où la 9e armée va livrer la bataille
présente trois zones caractéristiques :
A l'ouest, la Brie, que les Français tiennent, au sud d'une
coupure très nette du terrain, où les bois individualisés,
les villages isolés au même niveau que la campagne environnante,
donnent des centres de résistance dans lesquels on se battra
et où s'appuiera une défensive tenace et active;
Au centre, les marais, se déversant par une brèche
à travers la côte tertiaire, dominés au nord par
une crète tenue par les Allemands, et au sud par l'avancée
d'Allemant, d'où nos observateurs verront les mouvements ennemis
à travers les marécages et où s'accrochera notre
résistance;
A l'est, au contraire, la Champagne, zone plate et libre, sans accidents
de terrain, sans observatoire, merveilleux terrain d'infanterie pour
celui qui attaque, à travers laquelle l'avance allemande continuera
à déferler.